Congo-Brazzaville face au pari de l’Unesco
À Paris, la course à la direction générale de l’Unesco s’anime à mesure que s’approche le vote d’octobre. Trois visages se détachent : la Mexicaine Gabriela Ramos, l’Égyptien Khaled El-Enany et le Congolais Edouard-Firmin Matoko, ancien haut fonctionnaire de l’organisation.
Le Congo-Brazzaville, rarement attendu sur le podium diplomatique, se retrouve soudain au centre d’un jeu d’alliances. Pour le Premier ministre Anatole Collinet Makosso, la candidature de son compatriote n’est pas seulement symbolique ; elle incarne, dit-il, « une reconnaissance continentale longtemps différée ».
Un curriculum taillé pour Paris
Edouard-Firmin Matoko dirigea cinq ans le secteur Afrique à l’Unesco, pilotant des projets d’enseignement supérieur, de sauvegarde patrimoniale et de gouvernance numérique. Ses soutiens rappellent son doctorat parisien et sa capacité à naviguer entre les écoles de pensée francophone, hispanophone et arabophone.
Dans les couloirs de l’organisation, on le décrit pragmatique, « fiable sur le suivi des dossiers et patient dans la négociation », selon une source interne souhaitant l’anonymat. Cette réputation pourrait rassurer des États membres soucieux de stabilité après deux mandats très politiques.
L’ombre portée des alliances africaines
L’Union africaine s’est fixé pour principe d’aligner ses voix dans les organisations multilatérales. Pourtant, Brazzaville refuse de considérer la règle comme intangible. « Ce n’est pas à l’Union africaine d’imposer un vote », martèle Makosso, évoquant la nécessaire liberté diplomatique de chaque capitale.
En coulisse, plusieurs délégations d’Afrique centrale partagent cette lecture. L’Égypte, pressentie comme favorite au sein du groupe, doit donc composer avec un bloc sans cesse mouvant. « Le consensus est un objectif, pas un dogme », nuance un diplomate camerounais rencontré à Bruxelles.
Paris, Le Caire, Mexico : triangle diplomatique
La France soutient officiellement Khaled El-Enany, archéologue passé par le Musée égyptien du Caire. Pour Paris, miser sur un partenaire stratégique du Moyen-Orient consolide une relation militaire et économique déjà dense, tout en évitant l’accusation de favoritisme envers l’ex-patronne Audrey Azoulay.
Le Mexique, de son côté, parie sur Gabriela Ramos, actuelle sous-directrice générale. Son profil, très marqué par l’OCDE, attire le vote latino-américain. Mais la rivalité avec Washington au sein de l’Unesco complique l’équation, rendant chaque voix européenne cruciale.
Au-delà du vote, un récit national
Brazzaville voit dans cette candidature l’occasion de projeter une image renouvelée, loin des clichés. « Nous voulons montrer le Congo des laboratoires, des ballets et des start-ups », explique Dieudonné Moyongo, ministre de la Culture, rencontré lors d’un forum à Oyo.
Cette narration s’inscrit dans la politique des « dix pôles culturels » lancée en 2022 pour encourager la création en région. La victoire de Matoko servirait d’étendard à cette stratégie, en offrant aux artistes locaux un interlocuteur familier dans les couloirs parisiens.
La position de l’Union africaine décortiquée
Le Conseil exécutif de l’UA se réunit en juillet pour harmoniser sa ligne. Habituellement, les candidatures multiples sont tranchées au terme d’un huis clos parfois houleux. L’exemple de la FAO, en 2019, rappelle qu’une discipline de vote quasi militaire peut toutefois se fissurer.
Pour Brazzaville, respecter le processus tout en préservant son option relève d’un funambulisme. Les émissaires congolais multiplient les escales, d’Addis-Abeba à Pretoria, afin de convaincre qu’un directeur général issu d’Afrique centrale équilibrerait une représentation longtemps dominée par l’Égypte et le Sénégal.
Les enjeux culturels du mandat prochain
Le successeur d’Audrey Azoulay héritera d’un agenda chargé : convention sur la diversité culturelle à réactiver, fonds du patrimoine africain à refinancer, éducation numérique à déployer dans le Sud. Chaque prétendant publie déjà des notes d’orientation où le financement innovant devient le mot-clé.
Matoko insiste sur le renforcement des industries créatives en Afrique, secteur estimé à 4,2 % du PIB continental par l’Union africaine. Il propose un doublement de l’incubateur Unesco-Bangkok, adapté aux réalités africaines grâce à des campus mobiles et des partenariats publics-privés.
Perspective des acteurs culturels congolais
À Pointe-Noire, la chorégraphe Irène K. voit déjà un gain de visibilité. « Imaginons des résidences croisées entre l’École de danse de Paris et nos centres locaux ; ce serait historique », confie-t-elle, soulignant l’effet domino qu’un mandat congolais pourrait produire sur les financements.
Le musicien urbain Lova T. évoque, lui, la possibilité d’un label Unesco pour les musiques de rue de Brazzaville, récemment inscrites sur la liste du patrimoine immatériel national. « Une telle reconnaissance amorcerait des tournées régionales et des coopérations avec Lagos ou Johannesburg ».
Un test pour la diplomatie de Brazzaville
Qu’elle gagne ou non, la campagne de Matoko consolide l’idée d’une diplomatie congolaise plus audible, note l’analyste José Mabiala. Le scrutin d’octobre servira de baromètre ; dans tous les cas, Brazzaville aura rappelé qu’elle ne se résume plus aux archives coloniales.
Sur le plan intérieur, le dossier Unesco occupe déjà le débat académique. Les universités Marien-Ngouabi et Denis-Sassou-Nguesso ont créé des groupes de recherche ad hoc pour nourrir le programme du candidat, preuve qu’un vote multilatéral peut aussi susciter une effervescence intellectuelle locale.