Diplomatie offensive et mesures de persuasion
La perspective d’un changement de direction générale à l’Unesco, attendu en octobre 2025 à Samarcande, a donné à la diplomatie congolaise l’occasion de déployer tout son savoir-faire. À l’initiative du président Denis Sassou Nguesso, une campagne méthodique s’est ouverte dès le premier semestre 2025 afin de promouvoir la candidature d’Edouard Firmin Matoko, ancien sous-directeur général de l’institution onusienne. Tournées régionales, audiences présidentielles et relais d’ambassades composent la panoplie mise en œuvre pour rallier les quarante-huit membres du Conseil exécutif, faiseurs de rois au sein de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.
Le profil d’un vétéran de la maison Unesco
Né à Brazzaville en 1959, diplômé de sociologie et de management culturel à Paris, Edouard Firmin Matoko arpente les couloirs de l’Unesco depuis plus de trois décennies. Tour à tour directeur du Bureau régional pour l’Afrique centrale, puis responsable des partenariats stratégiques, il a même dirigé la puissante division Afrique qui coordonne près d’un tiers des programmes de l’agence. « Sa longue fréquentation des dossiers éducatifs constitue un atout indéniable, notamment pour les pays du Sud désireux de renforcer la dimension opérationnelle de l’Unesco », confie une source diplomatique proche du siège parisien. De facto, la candidature congolaise se nourrit de cet ancrage professionnel, jugé rassurant par nombre d’États membres en quête de continuité institutionnelle.
Un enjeu continental dépassant les frontières
En activant la fibre panafricaine, Brazzaville dépasse la défense d’un simple compatriote. La dernière fois qu’un Africain subsaharien a occupé le fauteuil de directeur général remonte au Sénégalais Amadou-Mahtar M’Bow (1974-1987). Quarante ans plus tard, l’argument de la représentativité continentale s’avère puissant ; il résonne d’autant plus auprès des capitales d’Afrique australe et orientale, premières étapes de la tournée menée en juillet par Jean-Claude Gakosso. À Pretoria, le chef de la diplomatie congolaise a obtenu du président sud-africain l’assurance d’une concertation au sein de la Communauté de développement d’Afrique australe afin de « créer une dynamique régionale » autour de Matoko. Des termes similaires ont jalonné les escales de Luanda à Port-Louis, en passant par Maputo et Gaborone, signe que la carte de l’unité africaine reste un levier persuasif.
La stratégie du soft power congolais
L’activisme de Brazzaville traduit une vision élargie de son influence internationale. Plutôt que de se limiter aux arènes politiques traditionnelles, le Congo cherche à inscrire son empreinte dans le secteur normatif et culturel, pivot majeur du multilatéralisme contemporain. En propulsant Matoko, Denis Sassou Nguesso entend projeter une image de compétence technique et de fiabilité, s’inscrivant dans la lignée de l’engagement déjà affiché par son pays lors des conférences climat ou des sommets sur la biodiversité. Ce soft power se veut inclusif : « l’Afrique doit être présente partout où l’on décide des affaires du monde », martèle le discours officiel, rappelant que science, éducation ou information façonnent désormais la géopolitique autant que les rapports de force militaires ou financiers.
Vers un vote décisif à l’automne 2025
À quelques mois du scrutin, trois candidatures seulement ont été enregistrées par le Comité exécutif, ce qui place chaque prétendant dans une configuration arithmétique serrée. La règle du double tour impose d’obtenir la majorité absolue des voix du Conseil pour accéder au vote final de la Conférence générale. Dans ce contexte, chaque soutien compte ; les visites ministérielles se doublent de téléconférences ciblées, tandis que les représentations congolaises à Rome, New Delhi ou Buenos Aires activent discrètement leurs réseaux. L’enjeu est d’arriver à l’automne avec un socle inébranlable d’engagements écrits, condition sine qua non pour franchir la barre fatidique des vingt-quatre voix.
Si le pari congolais aboutit, Matoko deviendra le deuxième Africain subsaharien à diriger l’Unesco, refermant une longue parenthèse. Mais au-delà du symbole, l’élection remodèlera l’équilibre des priorités au sein de l’agence : financement de l’éducation de base, sauvegarde du patrimoine immatériel et promotion de la recherche scientifique locale devraient se trouver réévalués. Pour l’heure, la campagne suit son rythme, rythmée par un calendrier diplomatique que Brazzaville entend maîtriser jusqu’à la dernière minute, convaincue qu’un consensus subtil, plutôt qu’une course frontale, constitue la clé du succès.