Le tempo d’une pré-campagne déjà palpable
Brazzaville vibre, depuis quelques semaines, au rythme d’une effervescence que l’on croyait réservée aux ultimes semaines de campagne. L’élection de mars 2026 se profile encore à l’horizon, pourtant la mécanique politique s’est mise en branle plus tôt qu’à l’accoutumée. La récente rencontre citoyenne organisée à Talangaï par l’Association pour le développement de l’axe Liboka – l’Adal – en est l’illustration la plus éloquente. À l’ombre des manguiers de l’esplanade municipale, ressortissants, sympathisants et curieux se sont rassemblés pour lancer un message sans équivoque : « Monsieur le Président, rempilez ! ».
Selon plusieurs observateurs locaux, cette précocité témoigne d’un double phénomène. D’une part, l’ancrage territorial des réseaux de soutien autour de Denis Sassou Nguesso s’est densifié, ajoutant une dimension communautaire à la préparation de l’échéance. D’autre part, l’enjeu de stabilité, régulièrement mis en avant dans les discours officiels, trouve un écho particulier dans un contexte sous-régional marqué par des turbulences institutionnelles.
L’axe Liboka, un microcosme des dynamiques rurales
L’Adal fédère une soixantaine de villages de la Cuvette, province dont la toponymie politique reste historiquement liée au chef de l’État. Lors de la rencontre de Talangaï, Maixent Raoul Ominga, président de l’association, a exhorté ses mandants à « réaffirmer un soutien indéfectible dès le premier tour ». Les propos, loin d’être anodins, rappellent la tradition congolaise des dengué-dengué, ces mobilisations villageoises où l’allégeance politique se double d’un engagement matériel.
La collecte de fonds lancée in situ s’inscrit dans cette logique communautaire. Elle revêt un caractère performatif : contribuer, c’est afficher sa loyauté, mais aussi investir dans la continuité d’un projet politique jugé protecteur. Dans les allées jouxtant la mairie, l’enthousiasme se traduisait par des enveloppes glissées discrètement, parfois par une pièce symbolique. Les organisateurs, eux, insistèrent sur la transparence de l’opération, promesse d’une comptabilité publique qui sera, affirment-ils, « mise à la disposition des autorités compétentes ».
Paix, modernisation, diplomatie : le triptyque argumentatif
Dans les déclarations lues en fin de rassemblement, trois notions revenaient comme un motif musical : la paix, la modernisation et le rayonnement extérieur. Le chef de l’État est décrit comme « le dépositaire d’une stabilité éprouvée », argument récurrent depuis les Accords de cessez-le-feu de 2003. Sur le plan intérieur, ses partisans évoquent la poursuite des chantiers d’infrastructures, du corridor Pointe-Noire-Ouesso au Métro-Brazzaville, projets perçus comme les linteaux d’un « Congo émergent ».
À l’international, la diplomatie congolaise est présentée comme offensive et équilibrée. La participation du président aux sommets sur la réforme du système financier mondial, à Paris en 2023, ou encore son plaidoyer pour les forêts du bassin du Congo lors de la COP27, sont cités pour illustrer la capacité de Brazzaville à peser au-delà de ses frontières. Pour les militants, l’équation est simple : maintenir le cap suppose de reconduire le capitaine.
Lecture politique d’une mobilisation anticipée
Cette séquence interroge politologues et sociologues. Pour Mathurin Ngatsé, chercheur à l’université Marien-Ngouabi, « la précocité des appels signale moins une campagne avant l’heure qu’un verrouillage symbolique du champ des possibles ». L’universitaire souligne toutefois le caractère légal d’initiatives provenant de la société civile, tant qu’elles respectent les dispositions du code électoral.
D’autres experts estiment que ces appels de terrain épousent la stratégie classique dite de la « pointe de flèche », où l’on laisse les associations locales ouvrir la voie avant que les partis ne formalisent leur position. Dans cette perspective, l’Adal jouerait un rôle de laboratoire, testant la réception populaire d’une candidature dont, officiellement, l’intéressé ne s’est pas encore saisi. La démarche permet également de calibrer les attentes financières et logistiques d’une campagne nationalisée.
Scénarios et attentes à l’horizon mars 2026
À sept mois du rendez-vous électoral, plusieurs scénarios se dessinent. Le premier, majoritaire dans les conversations de quartier, envisage une déclaration de candidature de Denis Sassou Nguesso lors de la prochaine rentrée politique. Un second, plus spéculatif, verrait l’émergence d’un dauphin adoubé, garantissant la continuité des réformes tout en redistribuant les cartes générationnelles. Aucun signe tangible, pour l’heure, ne corrobore cette hypothèse.
Quoi qu’il en soit, la mobilisation de l’axe Liboka marque un jalon important dans la structuration du débat public. Elle rappelle que, dans un pays où les relais locaux demeurent essentiels, la légitimité se construit autant dans les villages que sous les lambris des institutions. Reste désormais à observer comment les autres pôles régionaux, de Pointe-Noire au Niari, s’inscriront dans cette dynamique et si la campagne officielle confirmera l’élan observé à Talangaï. Les prochains mois diront si cet appel pionnier aura fait école, ou s’il demeurera un coup d’avance dans une partie d’échecs politique aux ramifications multiples.