Un podium canadien qui interroge l’orthographe nationale
Il est encore des matins où le lexique offre à un adolescent les clés d’un passeport diplomatique. Le 21 juillet dernier, à Mont-Tremblant, au cœur des 53es Championnats du monde francophone de Scrabble, Briny Oscar Matouridi a fait retentir l’hymne congolais. Cinq médailles, dont deux en or, cueillies devant des catégories où l’on croise d’ordinaire des universitaires aguerris, ont placé le drapeau tricolore dans une lumière inédite. À dix-sept ans, l’élève brazzavillois a balayé la concurrence des Espoirs avant de tenir tête aux Seniors, Vétérans et Diamants, confirmant que le maniement des anagrammes n’a pas d’âge mais exige une rigueur de champion.
Si le Canada avait prêté son décor boisé à cette joute lexicale, c’est bien au Congo que les réseaux sociaux se sont enflammés. Nombre d’internautes ont laissé affleurer un sentiment d’admiration teinté d’interrogations : comment un jeu de société longtemps relégué aux salons familiaux s’érige-t-il soudain en vitrine du génie national ? Les spécialistes rappelent que, derrière chaque tirage aléatoire de sept lettres, se cache une préparation scientifique : statistiques de fréquence, mémorisation du dictionnaire ODS, gestion du stress. Autant de compétences transversales que les enseignants voient aujourd’hui comme des vecteurs d’excellence scolaire.
La réponse institutionnelle : encourager sans entraver
De retour au pays le 26 juillet, le jeune prodige a été reçu au Palais du Peuple par le Premier ministre, Anatole Collinet Makosso, aux côtés du ministre de la Jeunesse et des Sports, Hugues Ngouélondélé. « Votre performance prouve qu’avec un encadrement optimiste, notre pays a sa place parmi les grandes nations », a déclaré le chef du gouvernement, citant au passage l’agenda national de diversification des pratiques sportives. Car, au Congo, le terme « sport » embrasse désormais les échecs, le Scrabble et autres disciplines de l’esprit, dans le droit fil des recommandations de l’UNESCO sur le développement des intelligences multiples.
Les conseillers techniques, eux, insistent sur la nécessité de doter la Fédération congolaise de Scrabble de moyens pérennes : bourses d’étude, manuels actualisés, accès à une connexion fiable pour les plateformes d’entraînement en ligne. Une telle stratégie contribuerait, disent-ils, à fiabiliser la détection des talents dès le collège et à consolider le rayonnement international du pays. Le cabinet du ministère a évoqué la création prochaine d’un Centre d’excellence en sports cérébraux à Brazzaville, projet aligné sur le Plan national de développement 2022-2026.
Jeunesse et excellence, une équation à solvabiliser
Le cas Matouridi remet en perspective la relation entre ambition individuelle et accompagnement public. D’après plusieurs entraîneurs interrogés, la progression du champion repose sur un triptyque : autodiscipline, mentorat et infrastructures numériques. Mais, dans un pays où 60 % de la population a moins de trente ans, généraliser ce triptyque réclame une ingénierie sociale attentive aux disparités régionales. Le professeur de linguistique Marc-André Nkenkou souligne que « l’écart d’accès aux bibliothèques entre Brazzaville et les chefs-lieux périphériques demeure un frein structurel ».
L’État veut néanmoins capitaliser sur l’image d’un adolescent devenu porte-étendard d’une diplomatie culturelle décomplexée. La télévision nationale a déjà programmé une série de mini-reportages, tandis que des entreprises publiques envisagent de parrainer des tournois inter-lycées. Pour la sociologue Sylvie Mboumba, « l’excellence de Briny nourrit le récit collectif selon lequel l’intellect peut être moteur de mobilité sociale ». Un récit qui, bien relayé, pourrait détourner nombre d’élèves de la tentation de l’exil intellectuel.
Au-delà du jeu, le rayonnement littéraire congolais
Le dictionnaire officiel du Scrabble, qui consacre chaque année de nouveaux créoles, africanismes et innovations technologiques, trouve en Matouridi un ambassadeur idéal. Ses adversaires louent son flair pour les néologismes et sa capacité à anticiper l’évolution lexicale. Ce talent offre au Congo une opportunité stratégique : inscrire sa création linguistique dans les circuits officiels de la francophonie. La Commission nationale de la langue française prépare déjà, selon nos informations, un atelier sur la contribution congolaise aux vocabulaires de demain.
Alors que Brazzaville s’apprête à accueillir, en 2025, la Biennale panafricaine du livre jeunesse, la figure du jeune champion tisse un pont symbolique entre jeu et littérature. Dans un entretien radiophonique, Briny confiait : « Chaque partie de Scrabble est une leçon d’humilité devant la langue ». Loin d’être une simple prouesse ludique, sa victoire résonne comme un plaidoyer pour la lecture, la recherche et l’innovation culturelle. Gageons qu’à force de placer les bonnes lettres aux bons endroits, le Congo continue d’aligner les mots qui font gagner.