Un bassin forestier stratégique pour le continent
Longtemps présenté comme le second poumon vert de la planète, le bassin du Congo concentre environ 10 % des réserves mondiales de carbone terrestre. À l’heure où la hausse des températures interroge la stabilité des écosystèmes, la République du Congo, forte de près de vingt-deux millions d’hectares forestiers, voit dans la préservation de ce capital naturel un levier diplomatique et économique majeur. Dans les couloirs du dernier One Forest Summit de Libreville, les négociateurs congolais ont d’ailleurs rappelé que la gestion durable des forêts n’est pas seulement un impératif écologique, c’est aussi « un élément structurant de notre souveraineté ».
Cette vision s’inscrit dans une trajectoire nationale amorcée dès 2000 avec l’adoption du Code forestier, puis consolidée par le Plan national d’affectation des terres de 2022. La mise en place d’outils numériques de suivi, aujourd’hui, apparaît comme l’étape logique d’une politique publique qui cherche à conjuguer attractivité des investissements et responsabilité climatique.
La diplomatie technologique des plateformes congolaises
C’est dans ce contexte qu’ont été dévoilées trois solutions portées par des ingénieurs opérant entre Pointe-Noire, Douala et Paris : Ekwato, Supply Logica et Ecosource. Leur promesse est double. D’une part, offrir aux exportateurs une preuve irréfutable d’origine légale, grâce à la collecte automatisée de données, l’analyse dynamique des risques et la géolocalisation fine des lots. D’autre part, rassurer les importateurs européens, désormais soumis à un Règlement sur la déforestation (RDUE) qui impose une « diligence raisonnée » sans précédent.
Le ministère congolais de l’Économie forestière a soutenu les phases pilotes, convaincu qu’une plateformisation des procédures peut réduire les coûts administratifs, limiter les saisies arbitraires et accélérer le règlement des litiges douaniers. « La technologie abolit l’opacité dont certains profitaient », confie un haut fonctionnaire sous couvert d’anonymat.
Compatibilité RDUE et souveraineté environnementale
Le RDUE, entré en vigueur en juin 2023, exige que toute cargaison de bois importée sur le marché européen soit exempte de déforestation et que sa traçabilité remonte jusqu’à la parcelle. Les autorités de Brazzaville y voient un standard certes exigeant, mais potentiellement créateur de valeur ajoutée pour les opérateurs locaux. En alignant les plateformes sur le texte communautaire, les concepteurs congolais entendent éviter au secteur une marginalisation sur ses principaux débouchés, tout en confortant l’image d’un pays soucieux de ses responsabilités climatiques.
Ekwato, par exemple, archive l’intégralité des documents de diligence raisonnable dans un coffre-fort numérique doté d’un horodatage certifié. Supply Logica mise sur une cartographie interactive susceptible de signaler, en quelques clics, une anomalie entre le volume déclaré et les surfaces récoltées. Quant à Ecosource, son moteur satellite repère en temps quasi réel toute tâche brune suspecte et alerte l’entreprise avant que le risque n’atteigne la répression économique prévue par Bruxelles.
L’innovation privée au service de la gouvernance
Derrière ces instruments se dessine un écosystème entrepreneurial encore méconnu. Les fondateurs d’Ekwato sortent des grandes écoles d’informatique de Rabat, ceux de Supply Logica ont évolué dans la logistique pétrolière de l’Atlantique, tandis que l’équipe d’Ecosource réunit des astrophysiciens congolais et des spécialistes français du machine learning. Leur pari consiste à transformer une contrainte réglementaire en moteur d’innovation locale, en créant à Brazzaville des emplois à forte valeur ajoutée.
La puissance publique accompagne le mouvement. Un guichet unique, hébergé par l’Agence nationale de la promotion des investissements, simplifie la délivrance des licences logicielles et propose des crédits fiscaux à quiconque développe un module complémentaire intégrable aux trois plateformes. La Banque de développement des États de l’Afrique centrale envisage, selon nos informations, une ligne de financement dédiée aux PME forestières souhaitant se numériser.
Certification internationale, vers une convergence des normes
Pour donner toute sa crédibilité à ce dispositif, les concepteurs ont noué des alliances avec les grandes familles de certification. Le PEFC a déjà publié une nouvelle norme intégrant la volumétrie de données générée par Ekwato et propose un module volontaire de diligence raisonnée. Le FSC, lui, expérimente un registre blockchain auquel Supply Logica pourra se connecter d’ici la fin de l’année. Preferred by Nature, enfin, forme les exploitants aux subtilités du RDUE et héberge une base de données ouverte qui croisera bientôt les alertes d’Ecosource avec les référentiels de risque par pays.
« Nous avançons vers une interopérabilité complète », assure un représentant du PEFC. Cette convergence devrait rassurer les importateurs européens mais aussi les marchés asiatiques, de plus en plus attentifs à la réputation carbone des matières premières.
Des données ouvertes pour les jeunes pousses locales
Au-delà de la seule filière bois, l’ouverture d’une partie des jeux de données constitue un enjeu citoyen. Global Forest Watch met déjà à disposition une carte interactive, tandis que la version professionnelle GFW Pro est accessible gratuitement aux ONG et aux PME forestières. L’Impact Toolbox de la Commission européenne, qui détecte la déforestation par satellite, sera elle aussi pleinement utilisable depuis le Congo grâce à un accord de partage de bande passante signé en avril dernier.
Ces outils, combinés aux API mises en place par les trois plateformes privées, ouvrent la voie à un foisonnement de start-up capables d’imaginer des services annexes, de la finance carbone à la gestion participative des zones protégées. Plusieurs incubateurs de Brazzaville, tels que WenakLabs, ont déjà listé des projets de réalité augmentée qui sensibiliseront les lycéens aux métiers verts.
Vers un nouveau pacte vert régional
Au terme de cette accélération numérique, un nouveau pacte se dessine entre États, entreprises et société civile d’Afrique centrale. La République du Congo, en position de médiateur régional, pourrait proposer lors de la prochaine session de l’ATIBT une mutualisation des licences logicielles et des bases de données, réduisant ainsi les coûts pour les pays voisins. Ce projet, déjà salué par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, conforterait la place de Brazzaville comme laboratoire d’une économie décarbonée.
Si les défis demeurent immenses, de la couverture réseau en forêt dense à la formation continue des exploitants, l’arrivée de ces solutions prouve qu’une alliance entre savoir-faire local et réseaux internationaux peut inverser la courbe de la déforestation. Comme le résume un entrepreneur de Pointe-Noire : « La forêt congolaise n’est pas qu’un héritage, c’est un logiciel d’avenir ».