Registre social congolais en mutation
Depuis plusieurs années, le Congo-Brazzaville affine ses outils de protection sociale pour qu’aucun résident ne reste à la marge. La récente volonté d’inclure près de 60 000 réfugiés dans le registre social unique illustre cette ambition politique, saluée par les partenaires internationaux et les acteurs humanitaires.
Cette modernisation, annoncée lors d’un atelier de deux jours à Brazzaville, traduit une dynamique déjà amorcée par le ministère des Affaires sociales. L’objectif officiel consiste à fiabiliser les données, cibler les aides et favoriser la cohésion, tout en respectant les standards régionaux promus par la CEMAC.
Pour l’ONU, l’exercice s’inscrit dans les engagements mondiaux du Pacte sur les réfugiés. L’administrateur national de programme, Vladimir Yvon Liem, insiste sur la « coréférence des bases de vulnérabilité » qui doit placer l’humain avant les chiffres, tout en garantissant la traçabilité indispensable aux bailleurs.
HCR renforce l’effort national
Selon les chiffres communiqués par l’agence onusienne, près de 80 % des réfugiés recensés vivent hors des camps officiels, souvent au sein de quartiers populaires de Brazzaville, Pointe-Noire ou Gamboma. Leur intégration dans le registre facilitera l’accès à des transferts monétaires, des bourses scolaires et des soins subventionnés.
Le HCR promet un appui technique concret : tablettes, logiciels de chiffrement, formation des agents et financement partiel du déploiement logistique. « Nous ne voulons pas duplicatif, mais complémentaire », résume M. Liem, rappelant que le registre national demeure propriété souveraine de l’État congolais.
Cette collaboration s’inscrit dans la lignée du Plan national de développement 2022-2026, qui fait de la protection sociale un pilier de diversification économique. Les autorités y voient une occasion de renforcer la confiance citoyenne tout en améliorant leur visibilité sur la scène humanitaire régionale.
En 2019 déjà, un programme pilote mené dans les districts frontaliers de Bétou et Impfondo avait permis d’assister plus de 3 000 familles réfugiées via des coupons électroniques. Les leçons tirées de cette expérience ont servi de base au protocole actuellement élargi au territoire national.
Des critères harmonisés de vulnérabilité
La notion de vulnérabilité varie selon qu’on s’adresse à un économiste, à un anthropologue ou à un agent d’état-civil. L’atelier a donc cherché un socle minimal : revenu, taille du ménage, handicap, exposition à la violence et accès aux services de base, indicateurs déjà utilisés pour les Congolais.
La difficulté tient à la vérification. Des équipes mixtes, associant Institut national de la statistique, Service d’aide humanitaire et mairies d’arrondissement, effectueront des visites porte-à-porte dans les prochains mois. Les cartes biométriques émises depuis 2019 seront croisées avec un relevé d’empreintes numériques et de données d’état civil.
L’expert en gouvernance Évariste Kingboulou, sollicité en marge des travaux, note que « la collecte ne vaut que si l’actualisation est régulière ». Il préconise un rafraîchissement semestriel contre une mise à jour quinquennale jusqu’ici pratiquée, afin de tenir compte des mobilités internes et des naissances.
Voix des réfugiés, attentes mesurées
Dans le quartier de Talangaï, Mireille, institutrice centrafricaine installée depuis 2014, espère obtenir une subvention pour agrandir sa classe de fortune. « Nous contribuons déjà à l’économie locale », rappelle-t-elle, confiante que son inscription dans le registre consolidera sa légitimité auprès des bailleurs et des autorités scolaires.
D’autres réfugiés redoutent l’exposition de leurs données personnelles. Le HCR assure que les informations sensibles resteront protégées par un protocole de consentement éclairé. Les associations locales exhortent cependant à une campagne de sensibilisation en langues nationales afin d’éviter tout malentendu ou rumeur délétère.
Au ministère des Affaires sociales, Raphaël Akoli Ekolobongo insiste sur la nécessité de « ne pas créer de concurrence entre pauvres ». Selon lui, la transparence des critères et la publication périodique des résultats d’enrôlement calmeront les tensions potentielles avec les ménages congolais déjà bénéficiaires d’allocations.
Cap sur une protection inclusive
À court terme, l’inclusion des réfugiés devrait augmenter d’environ 8 % la population couverte par le registre social unique. Les économistes estiment que le budget additionnel nécessaire reste modeste, car les programmes existants disposent de marges non utilisées depuis la pandémie.
Sur le long terme, les autorités visent une plateforme interoperable avec les registres d’état-civil, d’assurance maladie et de fiscalité. Une telle synergie permettrait de rationaliser la dépense publique et d’accompagner les ambitions de la République du Congo en matière de gouvernance numérique.
L’Observatoire congolais des droits de l’homme appelle cependant à renforcer les mécanismes de plaintes pour garantir la qualité du service et éviter les exclusions involontaires.
Les bailleurs, dont la Banque mondiale et l’Union européenne, suivent le dossier avec intérêt. Ils voient dans le modèle congolais une expérience pilote pour l’Afrique centrale, susceptible d’inspirer des pays confrontés au même défi : conjuguer souveraineté nationale, solidarité internationale et impératif de données fiables.
À l’issue de l’atelier, une feuille de route a été signée, prévoyant un rapport d’étape en décembre et un premier décaissement en avril prochain. Les observateurs saluent un pas vers la résilience sociale que le pays, sous l’impulsion de son président, ambitionne de consolider.