Brazzaville place la psychologie sous les projecteurs
Sous les voûtes de l’Amphithéâtre Jean-Baptiste Tati-Loutard, la brise de juillet n’est pas parvenue à atténuer l’effervescence scientifique qui animait Brazzaville. Entre les rangées d’enseignants-chercheurs et l’élégance feutrée des invités officiels se déployait un sentiment rare dans le monde académique : la conviction d’assister à un moment fondateur. Du 22 au 24 juillet 2025, la Société congolaise de psychologie (Socopsy), encore jeune structure présidée par le professeur Nicaise Léandre Mesmin Ghimbi, a tenu son tout premier congrès, placé sous le thème « Psychologie, santé, éducation et changements sociaux ». L’ouverture solennelle, présidée par la ministre de l’Enseignement supérieur Delphine Edith Emmanuel Adouki en présence du ministre Léon-Juste Ibombo et de l’éminent historien Théophile Obenga, a conféré à la rencontre un éclat institutionnel qui ne doit rien au hasard. En déclarant que la psychologie est « une science inhérente à la société humaine » (allocution de la ministre Emmanuel Adouki, 2025), la représentante du gouvernement a résumé l’ambition d’inscrire durablement la discipline au service du développement national.
Le legs du Dr André Bouya revisité
Héros discret de nombreuses générations d’étudiants, le Dr André Bouya incarne le geste pionnier : premier Congolais à obtenir, en 1973, un doctorat en psychologie clinique à Paris, premier chef du Département de psychologie en 1975, premier président de l’Association congolaise de psychologie, puis vice-recteur de l’Université Marien-Ngouabi. L’hommage qui lui a été rendu ne s’est pas limité à l’évocation de sa brillante trajectoire. Témoignages familiaux, archives sonores et interventions d’anciens collègues ont fait émerger la figure d’un intellectuel soucieux de relier le savoir à l’expérience quotidienne, défendant l’idée que « la science est d’autant plus universelle qu’elle est enracinée ». Cette maxime, reprise par le professeur Dieudonné Tsokini dans sa leçon inaugurale sur « les sciences humaines et le paradigme interculturel », a résonné comme une invitation à dépasser les cloisons disciplinaires afin de mieux comprendre les dynamiques psychosociales propres aux sociétés africaines contemporaines.
Des ateliers aux accents panafricains
Seize ateliers répartis sur six axes thématiques ont rythmé le congrès. La santé mentale, l’accompagnement psychologique des enfants victimes de violences ou encore la résilience dans les quartiers défavorisés ont suscité d’intenses discussions, nourries par les données empiriques venues de Kinshasa, Douala, Libreville et Abidjan. Les interventions des psychologues cliniciens congolais ont insisté sur l’urgence de formaliser un protocole de prise en charge adapté au contexte local, tandis que les délégués ivoiriens défendaient la mutualisation des plateformes numériques de télésoutien psychologique. La participation de chercheurs français a offert un éclairage comparatif sur le statut du psychologue dans les systèmes de santé publique, renforçant l’idée qu’une coopération Sud-Nord, fondée sur la réciprocité, peut ouvrir la voie à l’élaboration de pratiques innovantes.
Vers une communauté scientifique consolidée
Au terme des délibérations, plusieurs résolutions structurantes ont été adoptées par acclamation : création d’un répertoire national des professionnels, institutionnalisation de la Socopsy comme organe consultatif permanent auprès des pouvoirs publics, organisation biennale de congrès pour garantir la continuité du dialogue scientifique. Comme l’a souligné le professeur Jean-Didier Mbélé, président du comité d’organisation, « l’édifice académique repose sur des communautés actives et solidaires capables de s’autofinancer, de publier et de former ». Le soutien exprimé par la famille Bouya, notamment pour la mise en place d’une bourse annuelle portant le nom du défunt, témoigne d’une volonté partagée d’amarrer la discipline à un dispositif de recherche durable tout en l’ouvrant à la jeunesse.
Entre mémoire et projection
En célébrant la mémoire d’un pionnier tout en esquissant les contours d’une psychologie congolaise et panafricaine résolument contemporaine, le congrès de la Socopsy a réussi à conjuguer le passé au futur. La convergence des décideurs politiques, des universitaires et des praticiens laisse entrevoir une profession mieux outillée pour répondre aux défis de la santé mentale et de l’éducation inclusive. S’il appartient désormais aux acteurs réunis à Brazzaville de transformer les résolutions en programmes concrets, l’atmosphère de confiance et l’adhésion institutionnelle observées pendant ces trois jours autorisent un optimisme raisonné. Brazzaville, ville qui a vu émerger tant d’initiatives culturelles et intellectuelles, ajoute ainsi une nouvelle pierre à son patrimoine académique, fidèle à cette « révolution douce » qui choisit le progrès par la réflexion, la rigueur scientifique et l’ancrage humaniste.