Un anniversaire sous le signe de la vigilance
Le 15 août, sous la chaleur feutrée de Brazzaville, Denis Sassou Nguesso a célébré le 65ᵉ anniversaire de l’indépendance en prononçant un discours bref mais dense. Devant le Palais du Peuple, il a placé la paix régionale et la relance économique au cœur de sa vision.
Si la forme est restée solennelle, le fond a insisté sur la nécessité d’une vigilance collective face à des tensions extérieures jugées « multiplicatrices de crises ». Le président a exhorté l’unité nationale, rappelant que « la seule victoire durable est celle qui ne laisse personne au bord du chemin ».
Paix et stabilité : un cap réaffirmé
Le chef de l’État a posé la paix comme condition non négociable du progrès. Citant les ravages du terrorisme au Sahel, il a insisté sur la prévention des débordements frontaliers. Pour Brazzaville, a-t-il souligné, la diplomatie reste l’arme principale afin d’éviter l’engrenage des armes.
Le député Paul Ganongo, figure du Parti congolais du travail, estime que cette ligne sécuritaire rassure les investisseurs et les artistes. « Sans sérénité, la scène culturelle ne peut fleurir », nous confie-t-il, rappelant l’essor des festivals depuis la pacification du Pool en 2017.
Des défis économiques encore pressants
Reste que la croissance, attendue à 4 % en 2023 selon la Banque mondiale, peine encore à irriguer tous les ménages. Le président a reconnu une « conjoncture rude », expliquant que la dépendance aux cours du brut oblige à accélérer la diversification, notamment dans l’agro-industrie et le numérique.
Le ministre délégué aux Finances, Rigobert Andely, approché en marge de la cérémonie, détaille le calendrier : finalisation du port sec d’Oyo, ouverture d’incubateurs dans cinq départements, et simplification fiscale pour les créateurs. Objectif, dit-il, « générer 50 000 emplois d’ici deux ans ».
Le panafricanisme, moteur diplomatique
Autre fil rouge du discours : le panafricanisme. Sassou Nguesso a salué les mobilisations régionales contre le repli identitaire et appelé à « raviver l’esprit de Brazzaville », clin d’œil à la conférence de 1944. Le message résonne particulièrement chez les étudiants en histoire politique.
Pour la chercheuse Gabinette Bemba, de l’université Marien-Ngouabi, cette exhortation « replace le Congo au centre d’une diplomatie d’équilibre ». Elle remarque que Brazzaville hébergera en novembre le colloque de l’Union africaine sur la prévention des conflits, opportunité d’affirmer une expertise reconnue.
Des interrogations dans l’opposition
Les partis d’opposition ont, eux, réagi dès le lendemain. Destin Gavet a posé la question du pouvoir d’achat, estimant que « la paix sociale passe par le panier de la ménagère ». Clément Miérassa a évoqué la souffrance des ruraux, pointant l’accès inégal à l’eau et à l’électricité.
Le politologue français Jean-Pierre Boisselet juge ces critiques « classiques dans une démocratie vivante ». Pour lui, le président a volontairement laissé planer le suspense sur sa candidature de 2026 afin de maintenir le débat sur les programmes plutôt que sur les personnes.
Analyse d’experts et données macro
Plusieurs ONG économiques soulignent néanmoins les progrès engrangés depuis la signature du programme FMI en 2019. Le taux de service de la dette est passé sous la barre des 45 %, autorisant une hausse des dépenses sociales ciblées, notamment la gratuité des soins post-nataux instaurée en janvier.
La jeunesse culturelle en première ligne
Dans les quartiers sud de la capitale, des jeunes rappeurs interrogés saluent ce filet sanitaire, même s’ils espèrent davantage d’espaces de répétition. « On veut des studios publics, comme à Kigali », réclame l’artiste Lawess. Le ministère de la Culture travaille, assure-t-on, sur un fonds d’aide.
Innovation numérique et start-up congolaises
La capitale mise aussi sur le numérique. La start-up Kimia Pay vient de lever trois millions de dollars auprès d’un fonds kényan pour développer des solutions de paiement sans contact sur les marchés ruraux. Son dirigeant, Arsène Moukassa, voit dans la stabilité actuelle un « levier de confiance ».
L’Agence de développement du digital, créée en 2020, prévoit l’installation d’une dorsale fibre optique de 600 km entre Pointe-Noire et Ouesso. Le responsable du projet, Henri Ondongo, assure que « l’internet abordable décuplera l’accès aux formations en ligne et aux ventes d’art hors frontières ».
Création et diaspora, un élan partagé
Au-delà du micro, la diaspora suit l’actualité avec attention. Depuis Paris, la galeriste Elodie Okemba remarque un regain d’intérêt pour l’art contemporain congolais grâce à la stabilité politique. Ses ventes en ligne ont doublé depuis 2021, preuve d’un « branding national mieux assumé ».
Vers une croissance verte inclusive
Bien que Brazzaville dispose d’atouts, les universitaires rappellent que la transition écologique s’annonce décisive. Les vastes tourbières du bassin du Congo stockent trente milliards de tonnes de carbone ; leur préservation pourrait attirer de nouveaux financements verts, estime l’ingénieur forestier Lambert Ngakala.
Perspectives à l’horizon 2026
À courte échéance, l’attention se porte désormais sur la session parlementaire d’octobre, où sera présenté le budget 2024. Les observateurs espèrent y voir confirmer les annonces présidentielles, notamment l’augmentation du fonds d’appui aux micro-entreprises et la baisse progressive des droits de douane sur le matériel culturel.
Entre attentes sociales, ambition panafricaine et prudence diplomatique, le Congo avance à pas mesurés vers 2026. La cohésion qu’appellent de leurs vœux gouvernement, opposition et société civile pourrait constituer le socle d’une modernité partagée, pour peu que chaque acteur transforme ses mots en actes tangibles.