Mossendjo, miroir contrasté des 65 ans d’indépendance
Mossendjo, située à 650 kilomètres de Brazzaville, s’est invitée au cœur des célébrations du soixante-cinquième anniversaire de l’indépendance. Sa trajectoire raconte autant les progrès nationaux que les écarts territoriaux, interrogeant la façon dont se déploient les services publics dans l’arrière-pays congolais.
Traversée par l’ancienne ligne ferroviaire Mayombe et longtemps surnommée « ville des palmiers », la localité du Niari a connu un essor marqué dans les années 1970 grâce au bois, au cacao et au palmier à huile, avant de voir ses moteurs économiques ralentir.
Éclairage public, entre projets et impatience
La distribution d’électricité, assurée par des groupes électrogènes depuis la fermeture de l’ancienne centrale thermique, reste aujourd’hui sporadique. Dans plusieurs quartiers, les lampadaires publics demeurent éteints, forçant commerces et foyers à recourir aux panneaux solaires individuels ou aux lampes à pétrole lorsque la nuit tombe.
Le ministère de l’Énergie indique avoir inscrit la ville dans le Programme national d’électrification rurale. Selon le directeur départemental, un chantier de micro-centrale hybride utilisant le photovoltaïque et un appoint diesel doit démarrer dès la prochaine saison sèche, « sous réserve de la logistique ferroviaire ».
Eau potable, l’autre défi quotidien
L’accès à l’eau potable soulève d’autres défis. Les forages de l’ex-Société nationale de distribution d’eau fonctionnent partiellement, tandis que la rivière Makegué sert de ressource d’appoint. Les autorités locales assurent qu’une station de traitement modulaire, financée par la Banque de développement des États d’Afrique centrale, est en cours d’acheminement.
En attendant, nombre d’habitants sillonnent les ruelles avec des bidons jaunes. « Nous préférons puiser avant l’aube pour éviter la file », explique Mireille, infirmière. Elle dit faire bouillir systématiquement l’eau, solution prônée par la direction départementale de la santé, qui redoute des flambées diarrhéiques en période de pluies.
Dans la même veine, la Direction générale de l’hydraulique mène des études hydrogéologiques afin de localiser des nappes exploitables. Un premier forage d’essai a livré des résultats encourageants, avec un débit de dix mètres cubes par heure, volume jugé suffisant pour couvrir la zone marché-gare.
Ondes et cohésion sociale
Autre conséquence de la panne énergétique : le silence de Radio Congo. Les émissions régionales ont disparu des transistors depuis dix mois faute d’alimentation stable. Les habitants se réfugient vers RFI ou vers des plateformes en ligne accessibles via la 4G, déstabilisant la diffusion des annonces officielles.
Le ministère de la Communication annonce le déploiement prochain d’un émetteur basse-consommation épaulé par des panneaux solaires. Ce dispositif testé à Ewo et à Impfondo, indiqué comme « robuste face aux coupures », devrait permettre de rétablir le journal parlé et les programmes éducatifs destinés aux lycéens.
Initiatives locales et scène créative
Si l’État travaille sur les infrastructures, les initiatives citoyennes fourmillent. Dans le quartier Niarina, un collectif de menuisiers a installé une pico-centrale hydroélectrique artisanale sur le ruisseau Itsibou, offrant trois heures de lumière par soirée à vingt-deux maisons et à un atelier de couture.
Mossendjo héberge également une scène artistique vivace. Le photographe Yvon Ndinga documente l’obscurité volontairement, ses clichés révélant des silhouettes à la lueur des bougies. « Le manque devient matière à création », dit-il, plaidant pour un festival nocturne qui ferait dialoguer arts visuels et musique acoustique.
Pour les jeunes de la ville, ces annonces nourrissent un optimisme prudent. Le rappeur local Ezzy Flow prépare un titre intitulé Lumières du Mayombe qui célèbre « la patience active ». Dans son studio, alimenté par un générateur de 5 kW, il martèle que « la résilience deviendra bientôt groove ».
Héritage industriel et contraintes géographiques
Les urbanistes rappellent que la ville, fondée en 1883 par le lieutenant de vaisseau Mizon, se dresse sur un plateau encerclé de vallons. Cette topographie complique l’extension des réseaux de canalisations et renchérit le transport des carburants, deux facteurs qui expliquent en partie les délais actuels.
Perspectives portées par les plans nationaux
Selon le Plan national de développement 2022-2026, Mossendjo figure parmi les dix pôles secondaires voués à recevoir des mini-réseaux intelligents. L’Agence congolaise de l’électrification et des services énergétiques en milieu rural prévoit d’impliquer des entreprises locales pour favoriser la maintenance et l’emploi des jeunes diplômés.
Au-delà des chiffres, la question de l’équité territoriale irrigue les débats nationaux. Plusieurs ONG plaident pour que l’article 23 de la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire, consacré à la péréquation, soit accompagné d’un fonds dédié aux réseaux d’eau et d’énergie dans les communes de taille moyenne.
Mémoire partagée et futur désiré
À Mossendjo, le crépuscule continue de descendre, parfois silencieux, parfois chargé d’espoir. Entre les promesses institutionnelles, les bricoleurs ingénieux et les artistes qui transforment la pénombre en scène, la ville trace une voie singulière. Ses 65 ans d’indépendance résonnent comme une invitation à conjuguer mémoire et futur.
Devant la gare, les anciens se souviennent du premier train électrifié de 1959. Ce souvenir nourrit la volonté d’un retour des services essentiels. « Nous avons connu pire », assure le doyen Ngouabi, brandissant sa torche LED.
