Une joute orthographique au cœur de Brazzaville
Le 31 juillet, la salle de conférence du rectorat de l’Université Marien-Ngouabi a troqué ses habituels séminaires académiques pour l’effervescence d’une compétition où les verbes s’accordent plus vite que les battements de cœur. Face à leurs pairs et à un jury composé de linguistes aguerris, quatre étudiantes ont triomphé des redoutables épreuves de grammaire, d’orthographe et de conjugaison qui composent le concours Miss Mayele. Né en 2023 sous l’égide de la professeure de lettres Sylvia Djouob, l’événement ambitionne de réconcilier la jeunesse congolaise avec la rigueur de la langue française, dans un contexte où les erreurs se répandent, y compris sur les bancs de l’enseignement supérieur.
L’édition 2025, deuxième du nom, a confirmé la pertinence de cet objectif. Christ Nourra Ntsoumou-Ntounou, Bénie Riche Aimervia Elenga, Théodorat Hilary Makambala-Ndeke et Nicie Michelle Amora Mviri ont fait la différence grâce à un œil affûté pour les subtilités syntaxiques. « Les bases se perdent, constate Théodorat Hilary. Ce concours nous rappelle qu’écrire juste, c’est déjà se respecter. »
Miss Mayele, miroir d’un défi sociolinguistique
Au-delà de la célébration, Miss Mayele se veut aussi miroir d’une réalité : à l’heure des messageries instantanées et des réseaux sociaux, la précision langagière semble parfois reléguée au rang d’ornement. Or, dans un pays où le plurilinguisme est la norme, la maîtrise du français demeure un vecteur essentiel de mobilité académique et professionnelle. Les organisateurs insistent : il ne s’agit pas de sacraliser une langue héritée de l’histoire coloniale, mais d’offrir aux jeunes Congolaises un outil supplémentaire pour conquérir le marché de l’emploi, l’espace public et, partant, leur pleine citoyenneté.
Le terme mayele, emprunté au lingala, signifie « astuce » ou « esprit vif ». L’association du mot à la figure de « Miss » bouscule avec finesse les stéréotypes accolés aux concours de beauté, en substituant à la mesure du tour de taille celle du vocabulaire. « La grammaire et l’orthographe sont les deux jambes de la langue, rappelle Sylvia Djouob. Sans elles, avancer devient périlleux. »
Les voix de la relève féminine congolaise
Les lauréates repartent avec des lots de livres, un encouragement financier symbolique et, surtout, un capital de confiance. Pour beaucoup, cette visibilité marque un tournant. « Mon père m’a initiée à la lecture, aujourd’hui je lui dédie ce prix », glisse Théodorat Hilary, tandis que Christ Nourra évoque « l’envie de créer, demain, un club de lecture dans son quartier de Makélékélé ». La dimension intergénérationnelle est patente : lors de la cérémonie, les candidates de 2025 ont partagé la scène avec les participants du concours de dictée 2023, salués pour leur persévérance.
Cette transversalité réjouit Loïck Ibombo, collégien de cinquième, venu récupérer un cartable remis par l’organisation. « Grâce à vous, la rentrée aura une saveur spéciale », confie-t-il, rappelant que la maîtrise de la langue n’est pas l’apanage de l’élite universitaire mais un bien commun à irriguer dès le plus jeune âge.
Soutiens institutionnels et perspectives éducatives
Si Miss Mayele s’érige en modèle de mobilisation citoyenne, c’est aussi grâce à un réseau de partenaires qui inclut l’Université Marien-Ngouabi, des entreprises locales et le soutien appuyé des autorités nationales. Dans son discours, Sylvia Djouob a tenu à remercier le président Denis Sassou Nguesso pour l’intérêt porté à l’éducation des filles, soulignant la convergence entre les objectifs du concours et les politiques publiques prônant un capital humain renforcé.
L’appui logistique du rectorat, la mise à disposition de la salle et le relais médiatique octroyé par plusieurs rédactions brazzavilloises témoignent d’une volonté partagée de hisser la compétence linguistique au rang de priorité stratégique. Interrogé en marge de la cérémonie, un responsable du ministère de l’Enseignement supérieur observe : « Investir dans la langue, c’est investir dans la compétitivité internationale de nos diplômés. »
Vers une citoyenneté linguistique assumée
À l’issue de la remise des prix, un sentiment d’urgence bienveillante flottait dans l’air conditionné du rectorat : celui de poursuivre la lutte contre l’érosion des savoirs fondamentaux. La professeure Djouob, manifestement émue, a conclu d’une voix ferme : « Ce que je fais pour vous, d’autres l’ont fait pour moi ; à votre tour, transmettez. »
À la lisière du défi pédagogique et de l’engagement civique, Miss Mayele s’enracine dans le paysage culturel brazzavillois comme un rendez-vous incontournable. Chaque édition pose la même question aux candidates et, par ricochet, à l’ensemble de la société : comment conjuguer l’avenir du Congo au présent de la langue française ? Le succès retentissant de 2025 esquisse une réponse : par le travail, la persévérance et une foi partagée dans la puissance des mots.