Un concours féminin tourné vers l’excellence grammaticale
Sous les lambris sobres du rectorat de l’Université Marien-Ngouabi, le cliquetis des stylos a remplacé pour un instant le tumulte de la capitale. Vingt-deux candidates, lycéennes, étudiantes ou jeunes cadres, se sont affrontées durant soixante minutes autour d’exercices de conjugaison, d’accords complexes et de subtilités lexicales. L’événement, baptisé Miss Mayele – « l’ingéniosité » en lingala – se veut un hommage à l’intelligence féminine et au rôle structurant de la langue française dans le parcours professionnel. « Le cerveau n’a pas de sexe », insiste sa fondatrice, la professeure de lettres Sylvia Djouob, convaincue que la rigueur syntaxique peut devenir un levier d’ascension sociale.
L’innovation pédagogique d’une diaspora engagée
Ancienne enseignante à Brazzaville et aujourd’hui professeure agrégée dans un lycée parisien, Sylvia Djouob a imaginé un format plus interactif que la dictée traditionnelle. Son ambition : transformer un simple concours en laboratoire didactique où orthographe, grammaire et vocabulaire dialoguent. En amont de l’épreuve, des sessions de révision en ligne ont permis aux participantes de se familiariser avec la nomenclature des temps verbaux aussi bien qu’avec les accords du participe passé. « Au-delà de la compétition, nous venons chercher une méthode », confie Yvana Mouanda, fonctionnaire à la Caisse des dépôts, qui voit dans ces ateliers un prolongement de la formation continue.
La dimension sociale et politique de la maîtrise linguistique
Si Miss Mayele s’affiche comme un rendez-vous académique, sa portée symbolique dépasse les murs universitaires. La constitution congolaise reconnaît le français comme langue officielle et outil de cohésion nationale ; or, rappelle Sylvia Djouob, « l’égalité d’accès à cette langue passe d’abord par les femmes, garantes de la transmission familiale ». Dans un pays où la scolarisation féminine progresse régulièrement selon les chiffres du ministère de l’Enseignement primaire, la valorisation des compétences linguistiques apparaît comme un jalon supplémentaire vers l’autonomisation économique. « Ce concours rappelle que la femme ne se limite plus à une image festive : elle s’impose comme vecteur de développement », observe Julia Malonga, stagiaire à Télé Congo et candidate enthousiaste.
Un soutien institutionnel assumé
L’initiative bénéficie du parrainage actif des autorités locales. Dès la première édition, un extrait d’« Un temps de souvenirs » du président Denis Sassou Nguesso avait servi de texte de référence lors de la Semaine de la dictée. Cette année encore, les services culturels de la présidence ont tenu à accompagner l’événement, conscience que la francophonie constitue un atout diplomatique majeur pour la République. La remise des prix, prévue le 31 juillet, sera couplée à celle du Grand prix Denis-Sassou-Nguesso de la dictée 2023, créant une passerelle symbolique entre excellence scolaire et reconnaissance nationale. À la clé, des dictionnaires, des manuels de grammaire et du matériel pédagogique pour prolonger l’effort d’apprentissage.
Les répercussions attendues sur la scène littéraire congolaise
Le palmarès de Miss Mayele ne se veut pas une simple galerie de portraits. Les lauréates seront invitées à participer à des ateliers d’écriture, à la faveur de partenariats avec l’Institut français de Brazzaville et plusieurs maisons d’édition locales. L’objectif, selon la direction du concours, est de multiplier les voix féminines dans la production littéraire congolaise. « À dix-sept ans, j’ai été récompensée à Dakar ; je souhaite qu’une nouvelle génération vive cette reconnaissance », déclare Sylvia Djouob, évoquant son prix international de la meilleure nouvelle en langue française.
Perspectives : vers une francophonie congolaise proactive
En misant sur la maîtrise du français, Miss Mayele s’inscrit dans une stratégie plus large portée par les pouvoirs publics : renforcer la compétitivité culturelle congolaise dans l’espace francophone. La récente adoption d’un plan national pour la lecture publique, l’essor des cafés-littéraires et la participation accrue du Congo aux Salons du livre africains traduisent cette dynamique. Le concours pourrait, à terme, s’exporter vers les départements du pays, voire se décliner en une version masculine, signe qu’il ne s’agit pas d’enfermer les genres mais de célébrer une compétence partagée.
Au-delà du test, une promesse de citoyenneté éclairée
Qu’il s’agisse d’accorder un participe passé récalcitrant ou d’interpréter un futur antérieur, les jeunes femmes croisées au rectorat ont rappelé que la précision du langage structure la pensée. Dans un contexte international où les réseaux sociaux imposent un tempo rapide et parfois approximatif, l’exigence grammaticale devient un acte de résistance intellectuelle. Les responsables du concours espèrent que l’édition 2024 attirera le double de candidates, preuve que la grammaire, loin d’être un carcan, peut devenir un espace de liberté. En attendant, les talons aiguilles ont claqué sur le marbre du rectorat avec la même assurance qu’un alexandrin bien scandé : celle d’une citoyenneté éclairée, confiante dans la puissance des mots.