La salsa bolivarienne franchit le fleuve Congo
Sous le soleil matinal de Kombé, les percussions afro-caribéennes du collectif Madera percent déjà l’air, annonçant le concert du 24 juillet au village des enfants Cardinal-Emile-Biayenda. Cette première participation d’un ensemble vénézuélien au Festival panafricain de musique résonne comme un signe des temps : la mondialisation des musiques populaires se conjugue désormais au Sud, déplaçant les anciens centres de gravité. L’arrivée de Madera, accueillie par la diplomate Laura Evangelia Suarez, illustre la circulation vivace des imaginaires musicaux entre Caracas et Brazzaville, deux capitales liées par l’Atlantique, la mémoire des esclavages et une même passion pour la polyrythmie.
Le Fespam, vitrine diplomatique et culturelle
Créé en 1996, le Fespam s’est imposé comme l’un des grands carrefours sonores du continent, fédérant des orchestres de plus de quarante pays. Pour sa douzième édition, l’événement épouse le thème « Connectivités et Afro-Futur », reflétant l’ambition des autorités congolaises de hisser Brazzaville au rang de place forte de l’économie créative. Soutenu par le ministère de la Culture et des Arts, le festival consolide également la stature régionale de la République du Congo, confirmée l’an dernier par l’inscription de la rumba congolaise au patrimoine immatériel de l’UNESCO. L’invitation faite à Madera s’inscrit dans cette ligne : ouvrir des passerelles tout en célébrant l’identité stylistique nationale.
Madera, héritier du joropo et de la rumba
Fondé il y a près de trente ans dans le quartier populaire de San Agustín, Madera mêle les tambours bata afro-vénézuéliens, la flûte traversière et la basse électrique. Ses arrangements hybrides, nourris par la salsa new-yorkaise des années 1970 et le joropo llanero, trouvent un écho naturel au Congo, berceau d’une rumba longtemps tournée vers la Caraïbe. Sur scène, la voix du chanteur Carlos Navas entonne des textes imprégnés de réalisme social : lutte contre le travail infantile, éloge de la biodiversité amazonienne, espoirs du monde afro-descendant. Cette fibre militante confère à la prestation brazzavilloise une portée dépassant le simple divertissement.
Un village d’enfants comme scène symbolique
Choisir l’orphelinat Cardinal-Emile-Biayenda comme lieu de concert relève d’une démarche articulant l’art à la solidarité. Fondé en 2001 et géré par la fondation éponyme, le village accueille plus de deux cents orphelins âgés de trois à seize ans. Offrir la primeur d’un concert international à ces enfants, souvent éloignés des grandes scènes urbaines, démontre la volonté conjointe des chancelleries vénézuélienne et congolaise d’inscrire la culture dans les politiques sociales. Selon la directrice du centre, sœur Joséphine Ngoma, « la musique est un médicament non remboursé mais toujours efficace ; elle ouvre l’avenir là où les mots manquent ». Les premières répétitions ont d’ailleurs donné lieu à un atelier d’initiation au cajón, créant un dialogue corporel et ludique entre artistes et pensionnaires.
Les enjeux d’une diplomatie musicale Sud-Sud
La venue de Madera participe d’une stratégie plus large de la République bolivarienne du Venezuela visant à renforcer ses relations avec l’Afrique centrale. À l’heure où les coopérations Nord-Sud pâtissent de contraintes budgétaires, les échanges Sud-Sud gagnent en visibilité, portés par des valeurs de réciprocité. Pour Brazzaville, ces partenariats diversifient le paysage culturel local et stimulent l’économie touristique. Pour Caracas, ils offrent une scène alternative à la diaspora latino-américaine, tout en valorisant la composante africaine de son patrimoine. Les deux États y trouvent matière à réaffirmer leur engagement en faveur du multilatéralisme culturel promu par l’UNESCO.
Échos du concert et réception du public
Dès les premières notes, les enfants, entourés d’habitants du quartier et de festivaliers, se sont levés pour improviser des pas de salsa fusionnée aux déhanchements de la rumba. Le morceau « Tambor y Esperanza » a cristallisé l’enthousiasme collectif, ponctué par un chœur spontané sur le refrain en lingala, ajusté la veille par l’orchestre. Les observateurs culturels présents parlent d’une « bulle d’harmonie » capable de briser les barrières linguistiques. La presse locale salue la logistique irréprochable assurée par le comité d’organisation du Fespam, tandis que les agents culturels vénézuéliens évoquent déjà une tournée élargie à Pointe-Noire ou à Oyo lors de la prochaine édition.
Perspectives pour la coopération culturelle
À l’issue du spectacle, les ministères congolais et vénézuéliens de la Culture ont signé une lettre d’intention portant sur l’échange de résidences artistiques et d’ateliers pédagogiques. Ce protocole, annoncé par le ministre congolais de la Culture, s’inscrit dans la dynamique nationale de soutien aux industries créatives et devrait favoriser l’émergence de projets musicaux transatlantiques. Dans un contexte où la jeunesse africaine aspire à de nouveaux horizons professionnels, ces initiatives incarnent une passerelle concrète entre formation, employabilité et rayonnement international. Le concert de Madera s’avère donc moins la consécration d’un moment festif que le jalon d’une coopération durable, emportant l’adhésion enthousiaste d’un public brazzavillois avide de découvertes et de partages.