Un plateau qui parle au présent
Dans la moiteur océanique de Pointe-Noire, un objet carré, couvert d’illustrations chatoyantes, vient discrètement bousculer les codes de la transmission culturelle. Lissolo 2.0, deuxième mouture du jeu conçu par la jeune société KB Publishing, s’avance comme un ambassadeur miniature du patrimoine national. « Nous voulions un support où l’on apprenne en s’amusant, sans s’apercevoir que l’on revoit les programmes d’histoire ou de sciences », confie, un sourire mesuré, le chef de projet Congo, Hugues Wilson, rencontré lors de la présentation à la presse le 5 août. À l’heure où la consommation culturelle se digitalise, le pari d’un plateau de carton peut surprendre. Pourtant, la proposition trouve un écho singulier chez les familles désireuses de renouer avec la conversation hors écran.
Des mécaniques ludiques au service du savoir
Le dispositif, inspiré du Ludo, repose sur 350 cartes déclinant 1 200 questions. Sept thèmes se côtoient : art, culture, économie, entreprenariat, faune, flore, développement durable et, grande nouveauté, technologies numériques. Chaque case, chaque jet de dé ouvre ainsi une porte sur les réalités d’un Congo pluriel. Destiné prioritairement aux plus de neuf ans, l’objet revendique néanmoins une vocation intergénérationnelle. « On observe des grands-parents qui redécouvrent des proverbes ou des faits historiques en jouant avec leurs petits-enfants », relate Divine Malonga, chargée commerciale et communication. La règle, volontairement épurée, laisse la part belle à la discussion, transformant le salon familial en micro-forum citoyen.
Une incubation locale, des ambitions panafricaines
Fruit de deux années de conception, Lissolo 2.0 a mobilisé professeurs, chercheurs, illustrateurs et jeunes créatifs issus de l’écosystème touristique. Le projet a bénéficié d’un financement entièrement privé, détail que souligne avec satisfaction Philippe Mboumba Madiela, conseiller socioculturel du maire de Pointe-Noire, qui voit dans cette indépendance « un signe de maturité entrepreneuriale et de confiance en nos propres ressources ». KB Publishing ne compte pas s’arrêter au Kouilou : des déclinaisons sénégalaise, ivoirienne et même pan-africaine axée sur l’égalité et le leadership féminin (Lissolo Femina Africa) sont déjà en pré-production. La jeune maison d’édition aspire ainsi à instaurer une bibliothèque ludique du continent, où chaque version serait un miroir local dans un grand kaléidoscope identitaire.
Les leviers d’un outil socio-économique
Au-delà du divertissement, le potentiel éducatif du jeu intrigue établissements scolaires et organisations de jeunesse. Plusieurs enseignants songent à l’adopter en activité d’appui, voyant dans ses cartes un moyen de contextualiser le programme officiel et d’encourager l’oralité, dimension chère aux traditions bantoues. Sur le plan économique, l’initiative illustre la montée d’une industrie créative congolaise capable de générer emploi et valeurs ajoutées tout en préservant l’intégrité culturelle. Observateurs et acteurs s’accordent : si le marché demeure modeste, la demande africaine pour des contenus enracinés mais modernes existe bel et bien. Le succès rencontré lors des précommandes, largement relayé sur les réseaux, le confirme. Lissolo 2.0 se présente ainsi comme un révélateur d’opportunités pour une génération d’entrepreneurs qui, sans renier la fierté nationale, regarde déjà vers un marché continental de près d’un milliard de joueurs potentiels.
Perspectives d’une mémoire ludifiée
En filigrane, la démarche de KB Publishing interroge notre rapport au savoir : peut-on mémoriser durablement en jetant un dé ? Les sciences cognitives plaident en sa faveur, rappelant que l’apprentissage par le jeu renforce l’ancrage des connaissances par l’émotion et la répétition. De quoi encourager d’autres synergies entre créatifs, chercheurs et décideurs, d’autant que le gouvernement congolais multiplie les initiatives en faveur des industries culturelles et créatives, secteur reconnu comme levier de diversification économique. Lissolo 2.0 n’est peut-être qu’un pion sur l’échiquier, mais il signale, avec tact et ambition, qu’il existe des chemins alternatifs pour raconter la nation, hors des amphithéâtres et des écrans saturés. En refermant la boîte, les joueurs emportent un souvenir tangible : la conviction que le patrimoine est un récit vivant, et que chacun détient une face du dé pour l’écrire à son tour.