Une angoisse sécuritaire persiste
Lorsque Denis Sassou-Nguesso s’invite, virtuellement, à la table du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, c’est pour rappeler un constat têtu : quatorze ans après la chute de Mouammar Kadhafi, la Libye demeure un champ de tensions chroniques. Dans une allocution concise, le chef de l’État congolais s’est déclaré « vivement préoccupé » par la recrudescence d’affrontements armés, citant les combats de mai à Tripoli entre la 44ᵉ brigade d’infanterie et les Forces de soutien à la stabilité. Pour Brazzaville, cette flambée rappelle qu’aucun cessez-le-feu ne saurait se substituer à un règlement politique enraciné.
Une charte annoncée comme pivot
Point d’orgue de la diplomatie congolaise, la Charte de réconciliation inter-libyenne, dont la signature est projetée pour le 14 février 2025 à Addis-Abeba, se veut l’outil fédérateur d’une société fracturée. Conçue par le Comité de haut niveau qu’il préside, Denis Sassou-Nguesso la décrit comme « une avancée majeure » susceptible d’articuler amnistie partielle, garanties institutionnelles et feuille de route électorale. Dans les couloirs de l’Union africaine, certains diplomates saluent un texte « adapté au contexte tribal et régional », tout en reconnaissant les écueils : la multiplicité des chefs de milice, l’ingérence d’États tiers et l’économie de rente pétrolière restent autant de variables difficiles à conjuguer (International Crisis Group).
Tripoli, baromètre de la tension
La capitale libyenne concentre les paradoxes. Depuis la fragile accalmie de l’automne 2020, Tripoli vit au rythme d’alliances militaires mouvantes. Le président de la Commission de l’UA, Mohamed Ali Youssouf, a dénoncé, lors de la même réunion, « les actions irresponsables » de groupes armés qui instrumentalisent le vide institutionnel. L’enjeu, rappelle Sassou-Nguesso, dépasse la seule sécurité urbaine : la route côtière, relais des exportations pétrolières, et les centres de détention de migrants demeurent sous contrôle d’entités parfois concurrentes. Or, tant que les canaux économiques alimenteront les caisses privées des factions, « la paix civile restera un mirage », glisse un chercheur de l’Université de Benghazi, joint par ACI.
Le rôle attendu des partenaires internationaux
En saluant « l’engagement constant » de l’Union africaine, le président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed El Menfi, a exhorté la communauté internationale à « renforcer son soutien ». Une formule qui renvoie à l’éternelle dialectique entre souveraineté libyenne et assistance extérieure. Paris, Rome, Ankara ou Moscou déploient déjà, à degrés divers, influence politique et appui sécuritaire. Pour Brazzaville, l’urgence est de transformer ces présences parfois concurrentes en soutien convergent, en cohérence avec la résolution 2570 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui appelle à des élections nationales inclusives. Dans les couloirs du siège de l’UA, la perspective d’un mandat onusien élargi, couplé à la charte africaine, est évoquée pour « aligner les volontés ». Sassou-Nguesso mise sur une complémentarité plutôt que sur une rivalité d’agendas.
Brasília diplomatique de Brazzaville
Au-delà du dossier libyen, la posture de Denis Sassou-Nguesso illustre la volonté du Congo de s’ériger en médiateur continental. Le chef de l’État, qui avait déjà présidé en 2016 le Comité de haut niveau sur la Centrafrique, entend capitaliser sur cette expérience pour conforter le multilatéralisme africain. « La solidarité panafricaine n’est pas un slogan, c’est une architecture à construire », a-t-il déclaré, tirant les leçons des hésitations passées de l’UA face aux crises soudanaise ou malienne. L’opinion publique congolaise, sensible au rayonnement régional du pays, voit dans cet activisme une source de prestige diplomatique, tandis que les analystes louent une stratégie d’influence soft power, fondée sur la concertation plutôt que la coercition.
Reste que la réussite de la charte inter-libyenne dépendra, comme le souligne un fonctionnaire de la Commission, de la capacité des parties à « s’approprier le texte ». Entre leadership africain et appropriation locale, Sassou-Nguesso navigue sur une ligne de crête : rappeler l’indispensable autonomisation des Libyens tout en fournissant l’expertise et la garantie de bonne foi nécessaires. À mesure que l’échéance de février 2025 approchera, les capitales observeront si cette diplomatie pondérée parvient à transcender les clivages internes et les rivalités internationales. Pour l’heure, l’alerte est lancée ; reste à savoir si elle sera entendue.