Aux origines d’un souffle nouveau sur la scène régionale
Au sein d’une Afrique centrale en quête d’un positionnement stratégique équilibré entre la reconfiguration des chaînes de valeur mondiales et l’urgence climatique, plusieurs figures féminines ont su imposer une méthode et un ton inédits. Issues de sphères aussi variées que la gouvernance urbaine, la médiation post-conflit ou la conservation des forêts primaires, ces six personnalités placent la recherche d’impact collectif au cœur de leur démarche. Leur influence ne se réduit ni à la communication institutionnelle ni à l’activisme sectoriel ; elle se nourrit d’alliances savamment négociées, de connaissance empirique du terrain et d’une vision prospective capable d’anticiper les redéploiements géopolitiques qui s’annoncent.
Hindou Oumarou Ibrahim : ancrer la science du climat dans les savoirs autochtones
Née sur les rives du lac Tchad, Hindou Oumarou Ibrahim a très tôt compris que la question écologique ne peut être dissociée de la justice sociale. En présidant l’Association des femmes et peuples autochtones du Tchad, elle a systématisé un dialogue entre cartographie participative et observations satellites afin de calibrer des plans d’adaptation climatique à échelle communautaire. Ce parti pris méthodologique lui a valu d’être régulièrement citée par l’UNESCO comme référence dans la réduction des risques climatiques. Invitée par la présidence émiratie à la COP 28 puis nommée au conseil de TIME CO₂, elle rappelle volontiers que « l’intelligence des territoires précède souvent l’innovation technologique », faisant de chaque réunion internationale un relais pour les voix historiquement marginalisées.
Rose Christiane Ossouka Raponda : la macroéconomie au service de la cité durable
Économiste formée à Libreville et à Paris, Rose Christiane Ossouka Raponda a brisé plusieurs plafonds de verre : première femme à diriger la mairie de la capitale gabonaise, elle devient Première ministre puis vice-présidente. Son passage à la primature, ponctué par une renégociation méthodique de la dette bilatérale avec Pékin, a dessiné les contours d’une diplomatie financière plus assertive. Parallèlement, la mise en place d’un réseau panafricain de municipalités engagées dans des budgets verts témoigne de sa conviction que « la transition énergétique commence sur le pas de la porte du citoyen ». Sa trajectoire vient rappeler qu’une politique macroéconomique lucide peut s’arrimer à la lutte contre la précarité urbaine sans sacrifier l’attractivité des investisseurs.
Françoise Joly : le Congo championne d’une diplomatie verte inclusive
Conseillère spéciale du président Denis Sassou Nguesso, Françoise Joly porte, au sein du Palais du Peuple, un projet où la géopolitique des forêts rejoint l’agenda social du Congo-Brazzaville. L’orchestration en 2023 du Sommet des trois bassins – Amazonie, Congo, Bornéo/Mékong – a consacré Brazzaville comme plateforme incontournable du dialogue Sud-Sud sur la biodiversité. Le rapprochement stratégique avec les Émirats arabes unis, entériné par un accord sur la certification carbone en 2025, illustre sa volonté de convertir la richesse écologique en dividendes tangibles pour les populations locales, sans opposer développement et préservation. De l’adhésion en préparation au groupe BRICS+ à la conception d’un Fonds national pour les énergies propres, elle démontre qu’un État forestier peut devenir catalyseur de partenariats à haute valeur ajoutée.
Catherine Samba-Panza : gouverner la paix par l’inclusion économique
À la tête de la transition centrafricaine de 2014 à 2016, Catherine Samba-Panza a fait de l’organisation du Forum de Bangui un laboratoire de dialogue national, prélude à la création de la Cour pénale spéciale. Désormais médiatrice pour l’Union africaine, elle promeut une relance centrée sur les PME dirigées par des femmes, auxquelles 30 % des marchés publics sont réservés. « Lorsque les femmes gèrent les contrats, la confiance post-conflit gagne durablement en crédibilité », confie-t-elle lors d’une session à Addis-Abeba. Sa stratégie illustre comment le renforcement du tissu entrepreneurial féminin peut accélérer le désarmement communautaire tout en renforçant les recettes fiscales.
Julienne Lusenge : la justice réparatrice comme socle d’un futur apaisé
Ancienne journaliste de terrain dans l’est de la République démocratique du Congo, Julienne Lusenge a transformé le travail de documentation des violences sexuelles en véritable levier judiciaire. La création de la SOFEPADI puis du Fonds pour les femmes congolaises a permis d’accompagner plus de sept mille survivantes tout en conduisant à la condamnation de centaines d’auteurs. Son rôle au sein du groupe d’experts ONU Femmes sur la justice réparatrice rappelle que la lutte contre l’impunité n’est pas qu’un impératif moral ; elle conditionne la reconstruction sociopolitique des régions sorties de conflit. Lauréate du prix Aurora for Awakening Humanity, Lusenge demeure convaincue que « la mémoire des femmes est l’archive vivante de la nation ».
Edith Kah Walla : l’entreprenariat citoyen comme vecteur de réforme
Ingénieure de formation, entrepreneure, puis candidate à l’élection présidentielle camerounaise en 2011, Edith Kah Walla a fondé le cabinet STRATEGIES! pour offrir aux entreprises un appui en management responsable. Sa plateforme « Stand Up For Cameroon » forme désormais des milliers de jeunes au plaidoyer et à l’observation électorale, préfigurant une culture de la responsabilité partagée entre secteur privé et société civile. En orchestrant une coalition multipartite en amont des scrutins de 2025, elle mise sur la maîtrise des données électorales comme carburant d’une participation démocratique accrue.
Convergences stratégiques et capital social partagé
Au-delà des singularités, ces trajectoires se rejoignent dans la conviction que la coopération horizontale est plus efficiente que la compétition institutionnelle. Sous la bannière du Caucus des Femmes Leaders d’Afrique centrale, Catherine Samba-Panza et Rose Christiane Ossouka Raponda articulent un plaidoyer commun pour des budgets climat-genre à l’échelle municipale. Hindou Oumarou Ibrahim et Françoise Joly, quant à elles, pilotent un Atlas des solutions autochtones pour le Bassin du Congo, tandis que Julienne Lusenge et Edith Kah Walla associent justice réparatrice et entrepreneuriat social pour renforcer la résilience communautaire. Ces synergies démontrent qu’un capital social transfrontalier, fondé sur la confiance et l’expertise partagée, constitue un facteur tangible de stabilité.
Quel horizon pour la prochaine décennie ?
La décennie qui s’ouvre verra l’Afrique centrale confrontée à la volatilité des cours des matières premières, à l’intensification des régulations climat et à l’inflation des attentes citoyennes. Les six femmes ici présentées disposent d’atouts complémentaires : maîtrise des marchés de capitaux, sens aigu de la médiation, capacité à articuler connaissance traditionnelle et science moderne. Leur action pourrait ainsi accélérer la mise en place de mécanismes régionaux de tarification carbone, accroître la participation des femmes aux contrats publics et favoriser l’émergence d’une diplomatie verte unifiée, à même de sécuriser des investissements innovants. Dans un contexte où la compétition internationale se joue aussi sur la crédibilité des acteurs non-étatiques, leur leadership ouvre une voie singulièrement prometteuse : celle d’un continent qui entend dialoguer d’égal à égal tout en multipliant les passerelles vers la société civile globale.