Une sortie éditoriale très attendue
Vingt ans après la première publication chez L’Harmattan, la réapparition du « Droit administratif congolais » dans une version entièrement réécrite était attendue avec l’impatience que l’on réserve aux ouvrages devenus classiques. Le professeur Placide Moudoudou, agrégé de droit public, docteur formé à l’Université François-Rabelais de Tours et juge à la Cour constitutionnelle, y offre un texte de 457 pages paru en 2023 aux Presses universitaires de Brazzaville. L’entrée dans le catalogue national plutôt que dans une maison d’édition parisienne n’a rien d’anecdotique : elle signale une volonté affirmée de développer l’expertise juridique depuis Brazzaville, dans le sillage des orientations gouvernementales visant à renforcer la souveraineté intellectuelle.
Ce changement de maison, conjugué à l’enrichissement du contenu, transforme le simple manuel de 2003 en un essai de maturité. Le lecteur retrouve la rigueur de l’auteur, mais aussi une réflexivité plus poussée sur la trajectoire institutionnelle du Congo-Brazzaville depuis l’onde de choc démocratique des années 1990. Cette deuxième édition fait du droit administratif un observatoire privilégié des évolutions politiques, administratives et sociétales qui marquent la République.
Une architecture juridique en pleine mutation
Dès les premières pages, Placide Moudoudou dresse le constat d’une métamorphose : le droit administratif congolais, longtemps centré sur la primauté de l’autorité publique, s’émancipe progressivement vers une dialectique ordre-public-libertés. L’auteur note l’amélioration qualitative des requérants devant le juge administratif et l’élargissement des sources normatives, désormais composées de la Constitution révisée, du droit communautaire issu de la CEMAC ou de l’OHADA, et des décisions plus étoffées de la jurisprudence nationale.
La recomposition est visible dans chaque domaine. Qu’il soit question de décentralisation, de contentieux de la responsabilité ou de gestion du service public, l’ouvrage met systématiquement en balance l’efficacité administrative et la protection des droits fondamentaux. Ce prisme analytique témoigne d’un souci de modernité institutionnelle aligné sur les engagements internationaux du pays, notamment ceux relatifs à la gouvernance, tout en respectant les spécificités locales.
Réinterpréter l’héritage colonial français
Parce que le droit administratif congolais est largement hérité du modèle français, la question de la transposition demeure centrale. Le professeur Moudoudou ne se contente pas de recenser les textes ; il illustre comment le Congo s’approprie cet héritage pour répondre à des réalités propres, telles que la pluralité culturelle, l’ampleur du territoire ou la densité démographique. Selon lui, la décentralisation ne saurait être une copie conforme de la commune française. Elle procède d’une logique de proximité administrative en phase avec les aspirations d’un public mieux informé et plus exigeant.
En filigrane, se dessine une démarche de « contextualisation créatrice ». Le droit comparé sert de balise mais ne s’impose plus comme horizon indépassable. Ainsi, la notion de service public, qui reste au cœur des missions de l’État, s’élargit à la prise en charge des biens communs environnementaux, question cruciale pour un pays à la biodiversité exceptionnelle. L’ouvrage investit ces débats avec prudence, ancrant chaque démonstration dans l’évolution textuelle et jurisprudentielle la plus récente.
Un miroir de la gouvernance congolaise contemporaine
Loin d’une approche strictement technique, cette deuxième édition constitue un instrument de lecture des dynamiques de gouvernance. En examinant les nouveaux rapports entre administration et citoyens, l’auteur souligne la consolidation d’un État de droit où le contrôle juridictionnel des actes administratifs garantit une meilleure prévisibilité décisionnelle. De fait, l’essor des cours administratives d’appel, la publication systématique des décisions et la montée en compétence du barreau en droit public dessinent un paysage plus sécurisé pour l’investissement et la participation civique.
Le livre reflète également l’option nationale pour une stabilité institutionnelle, saluée par plusieurs observateurs internationaux, qui voient dans la solidité du cadre juridique un atout pour l’attractivité économique. En ce sens, l’ouvrage relaie la volonté officielle de coupler développement et état de droit, articulant modernisation de l’action publique et respect des libertés fondamentales.
La place de l’ouvrage dans la formation juridique
Pour la communauté universitaire, cette seconde édition se présente comme un socle pédagogique. Étudiants, enseignants, magistrats et avocats y trouvent une actualisation critique, dense en références doctrinales et jurisprudentielles. L’auteur, ancien doyen de la Faculté de droit de l’Université Marien Ngouabi, rappelle que la science juridique ne peut rester figée ; elle doit accompagner l’évolution de la société, anticiper les mutations technologiques et intégrer la dimension supranationale du droit.
En cela, le « Droit administratif congolais » apporte une boussole intellectuelle précieuse. Il instruit les débats sur la responsabilité des personnes publiques face aux enjeux climatiques, éclaire la gestion contractuelle des services essentiels et propose des clés de lecture pour un contentieux administratif en pleine expansion. L’opus apparaît ainsi comme un outil à même de consolider la culture juridique des jeunes générations tout en soutenant l’effort national de bonne gouvernance.