Une référence universitaire actualisée
Paru aux Presses universitaires de Brazzaville, le volume de 457 pages signé par le professeur agrégé Placide Moudoudou s’impose d’emblée comme une pierre angulaire pour la doctrine congolaise. L’auteur, fort de trois décennies d’enseignement à l’Université Marien-Ngouabi, revisite la matière administrative dans un contexte institutionnel stabilisé depuis la Constitution de 2015. Loin de se contenter d’une compilation normative, il annonce, dès les premières pages, sa volonté de dresser « la cartographie d’un droit en transition, au service d’un État de droit effectif », expression qu’il répète comme un fil rouge.
Cette seconde édition, publiée dix ans après la première, est plus qu’une mise à jour. Elle traduit l’enrichissement d’un corpus législatif nourri par les réformes de décentralisation, l’introduction du contrôle de constitutionnalité a priori et l’influence grandissante des cours régionales africaines. Le résultat se présente comme un manuel-essai, à la fois pédagogique et réflexif, et se positionne parmi les rares contributions de langue française à aborder de manière systémique les dynamiques contemporaines du droit administratif en Afrique centrale.
De l’héritage colonial à la logique d’équilibre
Moudoudou part d’un constat sans appel : longtemps calqué sur le modèle français napoléonien, le droit administratif congolais a privilégié les prérogatives de la puissance publique au détriment du citoyen. Les bouleversements politiques des années 1990 ont pourtant introduit un impératif de conciliation entre ordre public et libertés individuelles. L’auteur montre comment la multiplication des requérants devant le juge administratif témoigne aujourd’hui d’une appropriation citoyenne des mécanismes contentieux.
Cette bascule se traduit, selon l’ouvrage, par l’intégration croissante des normes constitutionnelles dans le raisonnement du juge et par la promotion du principe de proportionnalité dans l’action de la police administrative. En s’appuyant sur plusieurs arrêts emblématiques rendus par la Cour suprême entre 2018 et 2022, le professeur illustre la manière dont l’autorité se redéfinit à l’aune d’une exigence de transparence, sans pour autant fragiliser la continuité du service public.
Une architecture scientifique au service des praticiens
Le livre adopte une architecture classique mais efficace : sources, organisation administrative, contentieux, service public, pouvoirs de police, responsabilité. Chaque partie est introduite par une synthèse historique et clôturée par des perspectives critiques, exercice qui confère à l’ensemble une cohérence didactique remarquée par les juristes ayant assisté à la présentation officielle à Brazzaville en début d’année.
L’auteur met particulièrement l’accent sur la place nouvelle reconnue aux collectivités territoriales. La décentralisation, perçue jadis comme un simple démembrement, devient un laboratoire d’innovations normatives où se forgent des pratiques de contractualisation, d’appels d’offres dématérialisés et de contrôle citoyen. Les magistrats et avocats y trouveront une cartographie précise des compétences, tandis que les étudiants apprécieront la richesse des références jurisprudentielles, plus de six cents décisions résumées ou annotées.
Le prisme constitutionnel et régional
Dans une région marquée par l’essor des organisations communautaires, l’ouvrage insiste sur la valeur normative croissante des actes de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale et de la Cour de justice de la CEMAC. Moudoudou démontre, exemples à l’appui, que l’articulation entre droit interne et normes régionales consolide la sécurité juridique des opérateurs économiques, favorisant ainsi l’attractivité du territoire congolais.
Le regard constitutionnel irrigue l’ensemble de la démonstration. De l’effet direct des droits fondamentaux à la justiciabilité des objectifs à valeur constitutionnelle, l’auteur souligne l’évolution d’un juge administratif plus audacieux dans la protection des libertés. Il y voit le signe d’un droit en quête d’équilibre, où la puissance publique conserve ses leviers d’action tout en acceptant un contrôle juridictionnel plus dense, conforme aux engagements internationaux du Congo-Brazzaville.
Vers une gouvernance publique renforcée
Au-delà du strict commentaire juridique, le professeur esquisse des pistes de réforme portant sur la dématérialisation des procédures, la professionnalisation de l’administration et la systématisation de l’évaluation des politiques publiques. Ces propositions, formulées avec prudence, s’inscrivent dans la ligne des objectifs gouvernementaux de modernisation de l’action publique et d’amélioration du climat des affaires, salués lors des dernières assises du Conseil national du numérique.
En facilitant l’accès à l’information normative, l’ouvrage participe de la transparence administrative prônée par les autorités nationales. L’auteur rappelle que la diffusion d’une culture juridique partagée demeure une condition sine qua non de la reddition des comptes, instrument crucial pour la confiance entre gouvernants et gouvernés.
Un outil pour la relève juridique congolaise
Les enseignants de droit public voient dans cette seconde édition un support d’apprentissage apte à renforcer les capacités analytiques des étudiants. Pour la jeune génération, habituée aux ressources numériques, la densité doctrinale de l’ouvrage n’est pas un obstacle mais une incitation à la recherche approfondie, d’autant que chaque chapitre s’achève sur des questions-clés propices aux séminaires.
Placide Moudoudou confie, dans les dernières pages, que « le droit administratif doit rester vivant, habité par ceux qui le pratiquent autant que par ceux qui l’étudient ». La formule résume la philosophie de ce travail : offrir une boussole conceptuelle aux futurs cadres du pays, afin qu’ils œuvrent à la consolidation de l’État de droit et à l’optimisation des services publics, priorité constante des autorités congolaises.
Épilogue d’une mutation juridique en marche
En refermant le livre, le lecteur mesure la trajectoire parcourue par le droit administratif congolais, passé d’un droit de privilège à un droit d’équilibre. Le propos reste mesuré : l’auteur sait que chaque avancée appelle un effort constant de mise en œuvre. Néanmoins, l’esquisse d’un cadre normatif plus inclusif, conjuguée à la volonté politique réaffirmée de moderniser les institutions, annonce une dynamique durable.
« Droit administratif congolais » édition 2023 se lit ainsi comme le miroir d’une société désireuse d’unir stabilité et ouverture, efficacité et garantie des droits. En cela, il répond aux attentes d’un public varié et confirme la place du professeur Moudoudou parmi les voix qui comptent dans le débat doctrinal d’Afrique centrale.