Un stade aux allures de microcosme national
Sous le soleil matinal du premier samedi d’août, la pelouse et les gradins du complexe sportif de la Concorde de Kintélé se sont animés d’une effervescence inhabituelle. Balais, râteaux et sacs biodégradables ont remplacé ballons et sifflets, transformant l’arène des Jeux africains de 2015 en vaste chantier de propreté. Symbole de la jeunesse et de l’unité nationale, le site était devenu, au fil des mois, la proie d’herbes folles et de détritus amenés par les vents d’une urbanisation rapide.
Pour le gouvernement, redonner au stade son lustre d’origine dépasse la simple remise en état matérielle. « Il s’agit de se réapproprier nos ouvrages, fruits d’une politique d’investissement que nous avons le devoir de pérenniser », a rappelé Juste Désiré Mondelé, ministre de l’Assainissement urbain, au milieu d’un parterre de fonctionnaires, de bénévoles et de journalistes (déclaration officielle, 2 août 2024).
La task force gouvernementale, bras armé d’une politique de préservation
Constituée sur instruction du président Denis Sassou Nguesso, la task force pilotée par le ministre d’État Jean-Jacques Bouya fédère les portefeuilles de l’Assainissement urbain, des Grands travaux, de la Jeunesse et des Sports. L’objectif affiché est clair : dresser un diagnostic précis de l’état des infrastructures sportives et proposer un calendrier de réhabilitation réaliste.
La méthode choisie conjugue action directe et exemplarité. Chaque ministère fournit des équipes et du matériel, montrant que la coordination intersectorielle n’est pas un vœu pieux mais une pratique. « Nous venons avec nos mains et nos compétences, parce que la protection du patrimoine public concerne chaque administration », a insisté un conseiller technique du ministère des Sports, rappelant que la maintenance régulière coûte toujours moins qu’une reconstruction complète.
Le premier samedi du mois, nouveau rituel civique
La mobilisation de Kintélé s’inscrit dans une dynamique mensuelle : faire du premier samedi le rendez-vous républicain dédié à la propreté. L’idée, inspirée des campagnes d’intérêt général déjà éprouvées dans plusieurs capitales africaines, entend transformer l’entretien urbain en acte de citoyenneté partagée. Les étudiants de l’Université Marien-Ngouabi, les membres d’associations de quartiers et même une délégation diplomatique venue du Venezuela ont prêté main-forte sur le terrain de l’École normale supérieure.
Cette participation plurielle témoigne d’un changement de paradigme : l’assainissement n’est plus perçu comme la prérogative exclusive des opérateurs de collecte, mais comme une responsabilité collective. Selon un enseignant-chercheur en sociologie urbaine, « lorsqu’un geste est répété à échéance fixe, il s’inscrit durablement dans les habitudes sociales et renforce le sentiment d’appartenance à la cité ».
Entre logistique et pédagogie, les défis de la salubrité
Malgré les efforts conjugués, des obstacles subsistent. Les pré-collecteurs informels, souvent équipés de pousse-pousse, déversent parfois les déchets dans les artères fraîchement nettoyées. Le ministre Mondelé a prévenu : « Si l’on surprend un pousse-pousseur déposer les ordures dans la rue, il sera interpellé, sans concession ». Cette fermeté vise à protéger le travail réalisé par la nouvelle société publique chargée du ramassage, dont la performance serait brouillée par ces dépôts sauvages.
Au-delà de la répression, les autorités misent sur la pédagogie. Des campagnes de sensibilisation dans les écoles et les marchés expliquent l’importance de trier les déchets ménagers et de respecter les horaires de collecte. Le défi logistique reste néanmoins conséquent : la croissance démographique de Brazzaville impose d’étendre les circuits de ramassage et d’optimiser les sites de traitement, afin d’éviter que les bennes ne parcourent des dizaines de kilomètres à vide.
Vers une culture durable de la propreté urbaine
À Kintélé, les sacs d’ordures alignés à la sortie du stade racontent déjà une histoire de responsabilité partagée. Mais les autorités voient plus loin. L’assainissement régulier des équipements sportifs est appelé à devenir le maillon d’une chaîne plus vaste, associant éclairage public, entretien des accotements et sécurisation des trottoirs. Dans cette perspective, le complexe de la Concorde sert de laboratoire grandeur nature.
Les urbanistes soulignent que la durabilité d’une telle politique nécessite une gouvernance ouverte, capable de dialoguer avec les riverains et de s’adapter aux aléas climatiques. Les fortes pluies saisonnières, par exemple, peuvent rapidement ruiner un travail de désherbage si les caniveaux ne sont pas curés en amont. C’est pourquoi la task force réfléchit déjà à un plan pluriannuel, articulé autour d’indicateurs mesurables, afin de garantir que les gains obtenus un samedi ne s’évanouissent pas le lundi suivant.
En filigrane, l’opération du premier samedi de ce mois d’août rappelle qu’un stade n’est pas seulement un lieu de performances sportives. Il est miroir des pratiques citoyennes. En redonnant à la Concorde son éclat, les participants ont peut-être surtout montré que le soin de la chose publique passe d’abord par des gestes simples, répétés, solidaires.