Un nouvel écosystème logistique congolais
Le 16 juillet 2025, dans la touffeur maritime de Pointe-Noire, Abiguel Massouka et Ame César Sehossolo ont présenté à la presse la plateforme mobile « Joukwa ». Sous l’égide de SOSEP Groupe, société déjà implantée à Brazzaville comme à Kinshasa, l’application ambitionne de mettre fin aux labyrinthes administratifs qui ralentissent l’importation d’équipements et de matières premières indispensables à l’industrialisation nationale. En ciblant d’abord les flux Business-to-Business, elle construit un pont numérique entre le Congo et des fournisseurs répartis sur quatre continents.
Le positionnement est stratégique : dans un pays où près de 80 % des intrants industriels sont importés, la moindre friction logistique se répercute sur les chantiers d’infrastructures, les opérations pétrolières ou le quotidien des PME. Joukwa se propose d’être l’interface unique de suivi, de paiement et de contrôle qualité, unissant, dans la même ligne de code, la traçabilité douanière et la négociation tarifaire.
Innovation numérique au service de la ZLECAF
Le lancement intervient alors que la Zone de libre-échange continentale africaine entre progressivement dans sa phase opérationnelle. Pour les autorités congolaises, la réussite de ce grand marché dépendra autant des accords tarifaires que des solutions technologiques capables d’en assurer la fluidité. En offrant un tableau de bord en temps réel des commandes, Joukwa répond à cette exigence de transparence et réduit l’asymétrie d’information qui décourage nombre de jeunes exportateurs africains.
La plateforme recourt à un algorithme de recommandation pour proposer des groupages de fret, mutualiser les frais portuaires et minimiser l’empreinte carbone du transport. Ce volet durable, conforme aux engagements climatiques du Congo, séduit particulièrement les multinationales désireuses de verdir leur chaîne d’approvisionnement. « Nous optimisons chaque conteneur comme un joueur d’échecs anticipe plusieurs coups », glisse, dans un sourire, Abiguel Massouka.
Des enjeux de souveraineté économique
Derrière l’apparente technicité du projet se dessine une problématique de souveraineté. Les grandes plateformes logistiques mondiales, souvent extra-africaines, imposent leurs standards et prélèvent des commissions pouvant atteindre 15 % de la valeur marchande. Joukwa veut rapatrier cette valeur ajoutée sur le continent et, à terme, héberger ses données à Brazzaville, dans un datacenter alimenté à l’énergie hydroélectrique. « Le stockage local des données commerciales offre un gage de confiance aux investisseurs », rappelle une source au ministère de l’Économie numérique, qui suit le dossier de près.
Le projet s’inscrit ainsi dans la stratégie gouvernementale de diversification, laquelle mise sur les TIC pour réduire la dépendance aux hydrocarbures. En facilitant l’arrivée d’équipements de pointe, Joukwa pourrait accélérer la montée en gamme des secteurs du BTP, de l’agro-transformation et des énergies renouvelables, autant de filières identifiées comme moteurs de croissance par le Plan national de développement 2022-2026.
La parole aux artisans de l’algorithme
Ame César Sehossolo, communicant de la jeune pousse, insiste sur l’approche inclusive : « De la très petite entreprise au consortium international, chacun trouve chez nous un canal de négociation et de sécurisation des paiements. » La technologie s’appuie sur une triple vérification : audit documentaire, inspection visuelle par drone dans les ports partenaires et certification blockchain des factures. Cette architecture garantit, selon ses concepteurs, une réduction de 30 % des litiges liés à la non-conformité des commandes.
Pour convaincre les sceptiques, SOSEP Groupe a noué des partenariats avec la Banque postale du Congo et une compagnie d’assurances locale, gage que les flux financiers resteront sous contrôle national. Une phase pilote, menée discrètement depuis mars auprès de cinq PME de Pointe-Noire, a déjà permis d’économiser près de 200 000 dollars en coûts de colisage, selon des chiffres internes consultés par notre rédaction.
Perspectives et défis de la scale-up ponténégrine
L’enthousiasme n’efface pas les défis. Pour s’imposer face aux géants asiatiques de la logistique numérique, Joukwa devra lever des capitaux suffisants et maintenir un haut niveau de cybersécurité. Une première levée de fonds régionale est annoncée pour le dernier trimestre 2025. Les autorités, tout en réaffirmant le principe d’économie de marché, pourraient accompagner la start-up via des exonérations fiscales ciblées sur les services d’intermédiation numérique, mesure déjà évoquée lors du dernier forum Investir au Congo.
Les perspectives de déploiement hors continent attirent également l’attention. Des discussions seraient en cours avec des ports francs du Golfe pour créer des « corridors intelligents » connectés à Joukwa. La diaspora congolaise, souvent empêtrée dans des circuits d’envoi de marchandises coûteux et peu transparents, y voit un outil de rapprochement économique.
À l’heure où l’Afrique centrale se dote d’infrastructures de fibre optique et de réseaux 5G, le succès d’une application comme Joukwa constituera un indicateur de la capacité congolaise à transformer l’innovation en valeur ajoutée tangible. Si l’expérience se confirme, elle pourrait inspirer d’autres solutions souveraines, dessinant les contours d’une renaissance logistique à l’échelle régionale.