Une célébration parisienne aux résonances transatlantiques
Le 18 septembre, à 19 h 30 précises, l’enseigne rouge du Sunside s’allumera rue des Lombards pour accueillir une voix dont le timbre a traversé un quart de siècle sans se rider. Madame Helmie Bellini a choisi la capitale française pour ponctuer vingt-cinq années d’une aventure musicale initiée entre les berges du fleuve Congo et les clubs feutrés de la Nouvelle-Orléans. En baptisant son concert « Il était une voix », la chanteuse suggère d’emblée qu’il s’agira moins d’un simple gala commémoratif que d’un récit vivant, un chapitre supplémentaire d’un livre sonore en cours d’écriture.
À ses côtés, le guitariste Ralph Lavital, figure montante du jazz caribéen, complètera un dispositif scénique pensé comme une traversée, du terroir kongo jusqu’aux syncopes afro-américaines. Selon la directrice artistique du club, « ce type de programme dialoguant avec l’histoire coloniale et postcoloniale du jazz trouve un public de plus en plus curieux » (Stéphanie Ersic, 2024). La salle affiche déjà presque complet, preuve que la proposition parle autant aux mélomanes avertis qu’à une jeunesse parisienne en quête de récits hybrides.
De Brazzaville aux clubs mythiques : itinéraire d’une autodidacte
Née dans une famille où la rumba congolaise résonnait quotidiennement, Helmie Bellini s’initie au chant sans passer par les conservatoires. Son véritable apprentissage se déroule dans les boîtes de nuit de Brazzaville, puis à Pointe-Noire, où elle écoute, dans les années 1990, les vinyles de Sarah Vaughan et Abbey Lincoln importés par les radio-trafiquants de la côte (Jean-Guy Tchicaya, 2023). En 2000, elle s’installe à Paris pour parfaire sa technique auprès de mentors anonymes des jam-sessions de la rue des Lombards.
Autoproduire son premier album en 2011 est un acte fondateur : Il était une voix obtient la mention « coup de cœur » de Jazzman – Jazz Magazine et l’ouvre à un réseau professionnel jusque-là frileux face aux artistes d’Afrique centrale. Bellini ne se départira plus de cette indépendance, refusant la standardisation des majors afin de mieux préserver « le grain légèrement créole » de sa diction, comme elle le confiait récemment au micro de RFI (2024).
Kongo Square : carrefour mémoriel du jazz
Lorsqu’elle crée, en 2015, le spectacle Kongo Square, la chanteuse convoque la place historique de La Nouvelle-Orléans où, le dimanche, les esclaves pouvaient chanter et danser. Tambours ngoma, chants de plainte et harmonies blues s’y entrelacent pour rappeler la filiation directe entre les rythmes bantous et la genèse du jazz. Cette relecture gagne le soutien de plusieurs institutions culturelles de Brazzaville, soucieuses de promouvoir une mémoire partagée et de renforcer l’attractivité diplomatique du pays par la culture.
Sur scène, Bellini ne se contente pas de superposer les strates sonores : elle enchaîne prières en kituba, scats virtuoses et séquences parlées où elle raconte les embarcations, les marchés d’esclaves et la résilience des descendants. Le critique parisien Michel Contat y voit « une pédagogie du sensible, propre à réconcilier l’histoire douloureuse et le présent créatif » (2022).
La pédagogie comme prolongement scénique
Parallèlement aux tournées, l’artiste anime, de 2012 à 2018, les matinées du festival Off de Jazz in Marciac, donnant à de jeunes instrumentistes congolais, mais aussi antillais et hexagonaux, l’occasion de tester leurs chorus devant un public cosmopolite. Entre 2017 et 2018, sa chronique hebdomadaire sur la station Enghien IDFM décryptait, avec humour, la migration des standards du swing vers les musiques urbaines.
Depuis 2021, ses “RDV Bavard’Jase” – rencontres-concerts retransmises en direct – fédèrent une communauté numérique qui dépasse les frontières linguistiques. Le ministère congolais de la Culture a salué ces initiatives qui valorisent l’image d’un Congo dynamique, ouvert à la circulation des savoirs artistiques.
Paris 2025, promesse d’un nouvel acte
À l’orée de 2025, Helmie Bellini affirme entrer dans une phase « plus mature, plus solaire ». Les répétitions menées à Montreuil laissent filtrer l’esquisse d’un répertoire élargi : compositions inédites, relectures soul d’hymnes traditionnels kongo et hommages voilés aux géantes du gospel. Plusieurs invités, dont le saxophoniste Moran Beya et la pianiste franco-gabonaise Cécile Togni, devraient rejoindre la scène pour un dialogue intergénérationnel.
Le concert du Sunside ne clôturera donc pas un cycle ; il en inaugure un autre, où l’artiste entend diffuser, sur les scènes d’Afrique centrale puis d’Europe, un message de confiance nourri par l’essor des industries créatives au Congo-Brazzaville. « L’important est de montrer que la modernité n’efface pas les racines », rappelle-t-elle, le regard déjà tourné vers un album live qui captera la fièvre de la soirée parisienne.
En s’offrant un anniversaire sans nostalgie, Helmie Bellini prouve qu’une carrière bâtie sur le territoire exigeant du jazz peut dialoguer avec les politiques culturelles nationales et les aspirations d’une jeunesse connectée. Là réside peut-être, plus encore que dans la virtuosité vocale, le secret d’une artiste fidèle à sa devise : faire vibrer la mémoire pour mieux éclairer l’avenir.