Des partenariats pluriels au service de l’autonomie
Quarante apprenants, aux parcours aussi divers que leurs handicaps, ont pris place dans la salle de conférences de l’Agence nationale de valorisation des résultats de la recherche et de l’innovation. L’ONG italienne Comunità Sviluppo e Promozione, en synergie avec le Groupement des intellectuels et ouvriers handicapés du Congo, y déploie depuis le 24 juillet un ambitieux programme de renforcement de capacités entrepreneuriales. Cofinancée par l’Union européenne et la Conférence épiscopale d’Italie, l’initiative matérialise une approche solidaire nord-sud, attentive à la dignité et à l’autodétermination des personnes vivant avec handicap.
Selon Ermelinda Onda, coordinatrice du projet, « l’enjeu est de passer de l’assistance ponctuelle à la construction d’un tissu économique inclusif où chacun trouve sa place et crée de la valeur ». Le choix de Brazzaville n’est pas anodin : la capitale concentre un vivier de talents encore trop souvent tenus à la marge du marché du travail formel.
Une ingénierie pédagogique au diapason des réalités congolaises
Les participants, dont le niveau scolaire oscille entre le cycle primaire et le secondaire, aborderont sept modules clés : management, gestion financière, marketing, technologies de l’information, étude de marché, négociation et pilotage de projet. « Nous avons mené une évaluation diagnostique afin d’ajuster le contenu à leurs attentes et à leurs capacités d’apprentissage », explique Rivanelle Missolékélé Mpidy, chef de projet à l’Anvri.
Le dispositif adopte un rythme bi-hebdomadaire, chaque séance étant morcelée en trois temps d’une heure pour limiter la fatigue cognitive. Près de quatre-vingt pour cent des supports sont visuels, tandis que des simulations grandeur nature préparent les stagiaires à affronter la concurrence. Ici, l’innovation ne se résume pas aux outils ; elle se niche dans la relation de confiance qui se tisse entre formateurs et apprenants.
La parole aux bénéficiaires, entre prudence et espoir
Mireille, 29 ans, malentendante, caresse l’idée de lancer une micro-unité de transformation de manioc. « Je maîtrise le procédé, mais il me manquait les bases de comptabilité », confie-t-elle dans la langue des signes interprétée par un volontaire. À ses côtés, Dieudonné, menuisier de profession, souhaite formaliser son atelier. Tous saluent une méthodologie inclusive qui ne les cantonne pas au rôle de bénéficiaires passifs.
Les attentes restent néanmoins empreintes de lucidité. Le défi principal réside dans l’accès au financement post-formation. L’équipe projet assure travailler avec plusieurs institutions de microfinance afin d’adosser des lignes de crédit préférentielles aux business plans les plus solides.
Une politique publique alignée sur les engagements internationaux
Présente à la cérémonie de lancement, la ministre des Affaires sociales, Irène Marie Cécile Mboukou-Kimbatsa, a rappelé que « l’État mobilise déjà des financements pour soutenir les activités génératrices de revenus dans le cadre du programme national de filets sociaux ». Pour le ministre de la Recherche scientifique, Rigobert Maboundou, l’initiative s’inscrit dans « la vision du président Denis Sassou Nguesso de faire du handicap un vecteur d’innovation et non un frein au développement ».
Au-delà du discours institutionnel, ces propos font écho aux engagements pris par le Congo-Brazzaville lors de la ratification de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Les partenaires internationaux s’accordent à reconnaître les progrès législatifs enregistrés depuis une décennie, tout en soulignant la nécessité d’accélérer leur mise en œuvre sur le terrain.
Vers un écosystème entrepreneurial plus accessible
Le programme ne se limite pas aux cours magistraux. Des séances de mentorat, assurées par des chefs d’entreprise locaux, viendront consolider l’apprentissage. Parallèlement, 120 autres personnes handicapées suivent depuis décembre 2024 des formations aux métiers de la couture, de la menuiserie, de la construction, de la reliure et de l’informatique. Cette articulation entre filières techniques et gestion d’entreprise vise à irriguer l’ensemble de la chaîne de valeur, de la production à la commercialisation.
À terme, les promoteurs envisagent la création d’un cluster dédié aux entreprises inclusives, adossé à la cité scientifique. L’idée séduit déjà certains bailleurs qui y voient la possibilité d’expérimenter des solutions d’accessibilité universelle, depuis le design des infrastructures jusqu’à la signalétique.
Regards d’experts : inclusion, croissance et cohésion
L’économiste congolais Gervais Itoua estime que « la contribution potentielle des personnes vivant avec handicap au PIB est encore sous-valorisée ; investir dans leur formation revient à élargir la base productive ». Pour la sociologue italienne Francesca Biancarelli, observatrice du projet, « l’effet le plus marquant pourrait résider dans la transformation des représentations sociales ».
Ces analyses rejoignent les conclusions de la Banque mondiale, pour qui chaque point de réduction des obstacles à l’emploi des personnes handicapées génère un impact positif direct sur la croissance et la cohésion sociale. À l’heure où de nombreuses économies cherchent un second souffle, l’inclusion se révèle être non seulement une exigence éthique, mais aussi un levier stratégique.
Cap sur la pérennisation et la réplication
Au sortir de la première semaine de cours, les organisateurs dressent un bilan prudent mais encourageant. Les stagiaires affichent un taux d’assiduité de 95 %, preuve de leur motivation. D’ores et déjà, des discussions sont engagées pour répliquer le dispositif à Pointe-Noire et dans certaines préfectures rurales, avec l’appui des collectivités locales.
En filigrane, une conviction se dessine : l’entrepreneuriat inclusif ne saurait être une parenthèse philanthropique. Il appelle une démarche systémique, capable de faire converger politiques publiques, initiatives privées et mobilisation citoyenne. C’est à cette condition que l’équation handicap-développement trouvera une solution durable sur les rives du fleuve Congo.