Brazzaville se pare des couleurs du Fespam
Dans l’air doux d’un soir de juillet, les rives du fleuve Congo ont résonné d’une ferveur singulière : celle que suscite, tous les deux ans, l’ouverture du Festival panafricain de musique. La capitale congolaise, hôte historique de l’événement depuis 1995, voyait converger artistes, journalistes et diplomates, sous le regard attentif du président de la République, Denis Sassou Nguesso, accompagné de la Première dame et d’une délégation gouvernementale. La thématique « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique » a servi de fil conducteur à une cérémonie d’ouverture où la symbolique culturelle s’est subtilement conjuguée aux perspectives de croissance.
Une ouverture portée par deux talents émergents
Sur la vaste scène dressée au cœur de Brazzaville, Mariusca Moukengue, plus connue sous le nom de Black Panthère, et le chorégraphe Gervais Tomadiatunga ont investi l’espace scénique comme on conquiert un territoire d’expression. Le premier cri du public, nourri de curiosité et d’enthousiasme, a rapidement cédé la place à une ovation continue. L’alchimie entre le verbe poétique de la slameuse et la gestuelle chorégraphique de son alter ego a démontré la perméabilité des disciplines artistiques contemporaines. « Au-delà de tout ce qu’on sait faire, il y a cette unité artistique entre la musique, le slam et la danse », a expliqué la poétesse, visiblement portée par l’échange avec un public multigénérationnel.
La scène comme miroir de la diversité congolaise
Le spectacle, judicieusement intitulé « L’Année de la Jeunesse », a déroulé un panorama culturel où chaque département du Congo trouvait sa propre signature rythmique. Au son d’une rumba revisitée, les danseurs se sont engagés dans des figures acrobatiques flirtant avec la gymnastique, tandis que les percussions traditionnelles rappelaient la profondeur des terroirs. En filigrane, l’intention était claire : rappeler que la multiplicité linguistique et ethnique du pays constitue un levier de création, et non un facteur de dispersion. Le chorégraphe confiera plus tard avoir « voulu présenter le panafricanisme par un métissage musical », mêlant folklore moderne, hip-hop et danses ancestrales, pour signifier la capacité du continent à dialoguer avec lui-même.
Entre slam et rumba, une diplomatie culturelle
La dimension diplomatique n’a pas échappé aux observateurs. En accueillant plus de deux cent artistes venus de divers horizons, le Fespam demeure un instrument de rayonnement régional. Devant un parterre de représentants de l’Union africaine, les performances de Black Panthère et de Tomadiatunga ont fonctionné comme un récit à double détente : célébrer l’identité nationale tout en renforçant l’appartenance panafricaine. Dans son slam, la poétesse a évoqué « la splendeur des Kongo, la sagesse des Téké, le souffle des Mbochi », tissant un lien poétique entre territoires et mémoires collectives. À l’issue de son passage, un diplomate ouest-africain confiait que « le Congo rappelle, par son art, que la musique reste notre langue commune ».
Jeunesse et ambitions économiques numériques
Au-delà de l’émotion artistique, le thème de cette 12ᵉ édition invite à considérer la filière musicale comme un acteur économique à part entière. Le gouvernement, qui a récemment annoncé un plan de soutien aux industries culturelles, voit dans la transition numérique une chance de monétiser la création locale. La performance de deux jeunes figures emblématiques illustrait ce message d’autonomie et d’auto-entrepreneuriat que le pays adresse à sa jeunesse majoritaire. Les plateformes de streaming, la valorisation des droits d’auteur ou l’exportation digitale de la rumba congolaise constituent désormais des chantiers prioritaires pour les autorités, dans une logique de diversification économique.
Un rendez-vous continental toujours stratégique
Créé en 1995, le Fespam s’est hissé au rang d’institution publique à vocation culturelle et scientifique, et son inscription dans l’agenda de l’Union africaine confirme sa pertinence. Au fil des éditions, Brazzaville a revendiqué avec constance son statut de capitale de la musique africaine, tandis que les retombées touristiques et médiatiques consolident son positionnement. En clôturant la cérémonie, le comité d’organisation a rappelé que l’événement n’est pas seulement un festival : il est aussi un laboratoire d’idées, un incubateur de talents et un pont diplomatique au service de la cohésion continentale. À l’heure où l’économie créative africaine est évaluée à plusieurs milliards de dollars, le Fespam apparaît comme un pilier stratégique, tant pour la scène congolaise que pour le rayonnement du continent.
Perspectives au-delà du rideau
Alors que les projecteurs s’éteignent sur la première soirée, l’écho des slogans de la jeunesse résonne encore. Les deux artistes ont rappelé, à travers gestes et mots, que l’avenir économique du secteur culturel réside dans l’audace et la coopération. Brazzaville a ainsi offert l’image d’une ville capable de conjuguer innovation et fidélité aux racines. Pour le public comme pour les institutions, la partition est désormais écrite : continuer d’investir dans les talents émergents et exploiter l’outil numérique pour amplifier la portée d’un patrimoine musical déjà universel. Nul doute que, d’ici la prochaine édition, les vibrations de cette ouverture serviront de bande-son aux ambitions du Congo et, plus largement, à celles de la jeunesse africaine.