Brazzaville à nouveau capitale des rythmes africains
Sur les rives du fleuve Congo, le tapis rouge déployé devant le Palais des Congrès confirmait, samedi 19 juillet, le retour très attendu du Festival panafricain de musique. Deux années de préparation, quelques incertitudes budgétaires et une pandémie mondiale plus tard, la 12e édition a été solennellement ouverte par le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso. D’un ton à la fois grave et enthousiaste, le président a rappelé que la culture demeure « l’âme d’une nation et la rampe de lancement de son développement », conférant à l’événement une portée qui dépasse la célébration artistique pour toucher à la cohésion sociale et au rayonnement international.
Une édition resserrée mais stratégique
Quatorze délégations nationales, contre une trentaine lors des grandes années, foulent cette fois les scènes brazzavilloises. Le commissaire général Hugues Ondaye revendique ce « format réduit » comme un choix lucide : « Il s’agit d’optimiser chaque franc, chaque minute de concert, sans sacrifier la qualité. » Le contexte macro-économique, marqué par la volatilité des cours pétroliers et par un resserrement de la dépense publique, impose une gestion rigoureuse. Les partenaires privés, opérateurs télécoms en tête, assurent néanmoins une part décisive du financement, illustrant la tendance croissante aux montages hybrides entre État et secteur marchand.
La symbiose création artistique et économie numérique
Le thème « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique » donne à l’édition 2025 un relief particulier. Tables rondes, master class et hackathons analysent la monétisation du streaming, la blockchain comme garantie de droits d’auteur ou encore la billetterie dématérialisée. Les universitaires invités soulignent que les revenus numériques du continent atteindront, selon l’Union africaine, près de 500 millions de dollars d’ici cinq ans, pourvu que les infrastructures restent stables. Brazzaville teste ainsi un réseau 5G pilote autour des sites du festival, anticipant la diffusion en direct haute définition qui doit toucher la diaspora depuis Montréal jusqu’à Johannesburg.
Le message politique d’une diplomatie culturelle
La ministre de la Culture, Lydie Pongault, insiste : « La diplomatie des arts adoucit les angles d’un monde fragmenté ». En coulisses, conseillers et attachés culturels reconnaissent que le Fespam sert autant la scène artistique que la stratégie d’influence régionale du Congo. La présence de délégations camerounaises ou angolaises, malgré des priorités budgétaires concurrentes, témoigne d’une volonté partagée de préserver un espace panafricain de dialogue. Les partenaires internationaux, parmi lesquels l’Unesco, saluent la permanence d’un événement qui, tous les deux ans depuis 1996, maintient une vitrine africaine sur la cartographie mondiale des festivals.
Artistes congolais entre attentes locales et ambitions globe-trotteuses
Sur scène, les têtes d’affiche locales – Roga Roga, Queen Éthel ou encore l’Orchestre Symphonique Kouloumba – alternent avec des découvertes venues de Lomé ou de Harare. Le public, majoritairement composé de jeunes urbains familiers des plateformes de streaming, exige une programmation à la hauteur des playlists internationales. Les artistes congolais y voient l’occasion de consolider une identité sonore, tout en adaptant leurs stratégies de distribution. Le producteur Guy Llenga observe que « les performances live restent la meilleure carte de visite auprès des majors », convaincu qu’un concert filmé dans l’auditorium brazzavillois peut déclencher une signature à Paris ou à Los Angeles.
Perspectives régionales au-delà des trois temps forts
Le Fespam s’articule autour de trois séquences : compétition, colloques et marché professionnel. Au terme d’une semaine dense, le jury doit révéler un lauréat dont l’album bénéficiera d’une campagne de promotion continentale. Les retombées ne se limitent pas à l’industrie musicale. Hôtellerie, transport aérien et artisanat profitent d’un pic fréquentation estimé à dix pour cent par la Chambre de commerce. Les organisateurs promettent déjà une édition 2027 encore plus connectée, misant sur la stabilisation macro-économique et sur le dynamisme démographique d’une Afrique qui comptera, rappelons-le, un milliard de jeunes consommateurs en 2050. Dans l’immédiat, les notes montent, le public danse et Brazzaville, fidèle à sa tradition, offre un espace où l’harmonie épouse la prospective.