FESPAM, héritage d’un panafricanisme mélodieux
Lorsque l’Organisation de l’unité africaine confia à Brazzaville le soin d’accueillir, dès 1996, le Festival panafricain de musique, l’objectif était limpide : doter le continent d’une tribune artistique à la mesure de son rêve d’unité. Plus qu’un simple rendez-vous festif, le FESPAM s’érige alors en instrument diplomatique, célébrant la pluralité des esthétiques africaines tout en façonnant un récit commun. De Dakar à Lagos, les grands festivals culturels des décennies précédentes avaient déjà ouvert la voie ; Brazzaville devait, elle, en assurer la continuité sur le versant musical.
Près de trente ans plus tard, ce legs conserve une résonance particulière. « Le Congo entend demeurer la caisse de résonance de l’Afrique créative », rappelait récemment Arlette Soudan-Nonault, ministre en charge du Tourisme, de l’Industrie culturelle et des Loisirs, insistant sur la synergie entre patrimoine, diplomatie et économie créative. Dans un environnement international où la percussion afro et l’afro-pop inondent les plateformes numériques, la pertinence du FESPAM dépasse même les frontières identitaires pour toucher à la compétitivité culturelle globale du continent.
Édition 2025 : un format resserré, un signal fort
Du 19 au 26 juillet, la douzième édition s’est principalement déployée dans l’enceinte du Palais des congrès, privilégiant des concerts, des master-classes et une conférence scientifique. Si la jauge logistique s’est réduite, l’État congolais a tenu à préserver la dimension symbolique de la manifestation. Le commissariat général, dirigé par le musicologue Hugues Adhobo, revendique plus de 300 artistes issus de quinze pays, un chiffre certes inférieur aux éditions précédentes mais révélateur d’une volonté de continuité.
La sobriété budgétaire – conséquence, entre autres, des contrecoups économiques post-pandémiques – a suscité un débat légitime. « L’essentiel était d’éviter une année blanche », souligne l’ethnomusicologue camerounais Borel Ndimb, invité des Rencontres scientifiques. Le public, majoritairement brazzavillois, a salué la qualité acoustique des scènes et la présence de têtes d’affiche telles que Queen Etémé ou Bantou Mentale. L’affluence numérique, portée par la diffusion en streaming, a en outre doublé par rapport à 2019 selon les chiffres fournis par l’opérateur public Télé Congo.
La stratégie culturelle congolaise en filigrane
Loin d’être anecdotique, le recentrage opéré par le comité d’organisation s’inscrit dans la feuille de route gouvernementale en matière d’industries créatives. Le Plan national de développement 2022-2026 consacre un chapitre à la valorisation des festivals comme vecteurs de diplomatie économique. Brazzaville, déjà « ville créative UNESCO pour la musique » depuis 2013, mise sur cet avantage comparatif pour renforcer son attractivité touristique et ses échanges sud-sud.
Dans cette optique, les autorités ont encouragé la formation de clusters professionnels : ateliers de management d’artistes, rencontres entre labels panafricains et incubateurs numériques. Selon le directeur de l’Agence congolaise pour l’économie numérique, Sylvain Souloungou, « le streaming représente aujourd’hui la meilleure garantie de monétisation pour nos artistes ; le FESPAM agit comme un accélérateur de visibilité ». Ce repositionnement stratégique explique, en partie, la volonté de privilégier la qualité des contenus plutôt que la multiplication des scènes dispersées.
Résilience des artistes et adhésion populaire
Malgré un calendrier resserré, le festival a conservé son ancrage communautaire. Dans les arrondissements de Moungali et Poto-Poto, les groupes de rumba et de ngoma ont occupé cafés-concerts et places publiques, perpétuant la tradition d’un FESPAM vécu aussi hors les murs institutionnels. « Nous jouons pour rappeler que la musique congolaise est un patrimoine vivant », déclarait la chanteuse Elida Mayanda au micro de Radio-Congo. La parole de ces artistes confirme que le capital immatériel du festival se nourrit d’abord de la ferveur de la base.
Le concours jeunesse, introduit en 2019, a récompensé cette année le collectif Ndingu Crew, formé de lycéens brazzavillois adeptes d’afro-trap. Ce prisme intergénérationnel répond à l’une des critiques récurrentes des éditions précédentes : la difficulté à capter la créativité des moins de trente ans. La remise des prix, en présence du Premier ministre Anatole Collinet Makosso, a souligné le soutien institutionnel à cette nouvelle scène.
Perspectives : vers un festival plus agile et connecté
Au-delà du bilan comptable, la pérennité du FESPAM dépend de son adaptabilité. Plusieurs pistes émergent : création d’une fondation panafricaine dotée d’un conseil scientifique, ouverture d’un fonds de co-production pour les clips et résidences artistiques, renforcement des partenariats avec les plateformes de streaming et les radios communautaires. L’idée, défendue par l’Union africaine, serait d’articuler un écosystème où Brazzaville demeurerait la capitale physique, mais où la circulation des contenus serait permanente.
La prochaine édition, annoncée pour 2027, devrait ainsi alterner temps présentiel et capsules numériques. « Nous préparons un format hybride capable de fédérer la diaspora », a confié le commissaire général Adhobo. En misant sur l’innovation tout en préservant l’ADN panafricain, le FESPAM se donne les moyens de transformer ses contraintes actuelles en tremplin stratégique. Brazzaville, ville aux sept collines et aux mille rythmes, entend prouver une nouvelle fois que le silence n’est jamais une option lorsque l’Afrique a quelque chose à dire – et surtout à chanter.