Brazzaville, épicentre d’une diplomatie culturelle
La rumeur des percussions envahit encore les abords du Palais des congrès lorsque Denis Sassou Nguesso prononce, le 19 juillet 2025, la formule rituelle ouvrant officiellement la 12ᵉ édition du Festival panafricain de musique. Les applaudissements qui s’ensuivent ne saluent pas uniquement l’autorité du chef de l’État : ils consacrent la place conquise de Brazzaville comme capitale symbolique d’un dialogue artistique continental. Dans la salle, diplomates, responsables d’organisations internationales, créateurs et étudiants partagent un même regard vers la scène, conscients que la musique, ici, devient langage politique discret et instrument de cohésion.
Dieudonné Bantsimba, maire de la ville hôte, rappelle dans un souffle que « Brazzaville fut déjà, en 1958, le théâtre d’un congrès fondateur des indépendances ». L’UNESCO, par la voix de sa directrice générale Audrey Azoulay, salue pour sa part « un rendez-vous où le son ouvre des espaces civiques » tandis que la ministre Marie-France Lydie Hélène Pongault évoque le festival comme « un patrimoine vivant auquel chaque Congolais peut s’identifier ». L’afro-optimisme se lit ainsi dans chaque intervention, confirmant la stratégie d’influence culturelle portée par le Congo-Brazzaville depuis plusieurs éditions.
FESPAM 2025 : un laboratoire panafricain de la création sonore
Quatorze pays – de la République démocratique du Congo au Venezuela, invité d’honneur extra-continental – convergent cette année vers la capitale congolaise. Les formations attendues se partagent trois grandes scènes : le Palais des congrès pour les concerts inauguraux, la mythique esplanade de Mayanga pour les musiques populaires, et le complexe de Kintélé, écrin ultramoderne qui dialogue avec le fleuve. Les programmateurs ont veillé à juxtaposer grands noms et découvertes, ce qui permet aux polyphonies sénégalaises de répondre aux grooves électro-mbalax naissants de Cotonou.
À chacune de ces rencontres, le public relève la capacité de FESPAM à fonctionner comme un incubateur. Les artistes testent des formats hybrides, mariant harpes traditionnelles et modulations synthétiques, non par simple esthétisme, mais pour sonder la place de la mémoire dans la modernité. Selon le commissaire général Hugues Gervais Ondaye, « le festival entend dépasser la dimension festive pour devenir un laboratoire d’idées sonores au service de l’identité africaine ».
L’économie numérique au rythme des tambours
Le thème retenu – « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique » – inscrit l’événement dans les préoccupations d’une génération qui consomme désormais titres et concerts via plateformes de streaming et réseaux sociaux. Tables rondes et ateliers explorent la monétisation équitable des œuvres, la protection des droits voisins ou la formation des managers culturels locaux. L’économiste camerounais Nicaise Hampâté souligne que « le numérique n’est pas une baguette magique, mais un cadre où les États doivent fournir une régulation adaptée ».
Dans cette perspective, le gouvernement congolais présente son projet de guichet unique de la propriété intellectuelle, destiné à sécuriser les revenus des créateurs nationaux. Des start-up brazzavilloises dévoilent par ailleurs des applications de billetterie dématérialisée, réduisant les coûts de production des concerts. Autant d’exemples concrets qui illustrent la volonté présidentielle de faire de la culture un levier de diversification économique, complémentaire aux secteurs extractifs.
Patrimonialisation et rayonnement international
Au-delà de leur valeur marchande, les répertoires présentés cette semaine concourent à la préservation d’un patrimoine immatériel souvent menacé par l’homogénéisation mondiale. Le griot malien Cheick Sissoko, invité pour une master-class, explique que « chaque chanson garde la mémoire d’une communauté, et les archives audio de FESPAM prolongent cette mémoire pour les générations futures ». Les services du ministère de la Culture annoncent, à cet égard, un partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel français pour numériser les captations des douze éditions successives.
Le rayonnement déborde finalement les rives du Congo. Grâce aux diffusions en direct sur des plateformes partenaires, le festival touche une diaspora avide d’images festives qui contrastent avec les représentations réductrices du continent. Les indicateurs de fréquentation en ligne, communiqués par l’organisation, font état de plus de trois millions de vues cumulées lors de la soirée d’ouverture, chiffre inédit pour un événement culturel d’Afrique centrale.
Perspectives pour la jeunesse congolaise et africaine
La présence massive de jeunes – étudiants, apprentis musiciens, entrepreneurs culturels – rappelle que la population d’Afrique centrale demeure la plus jeune au monde. Les stands d’orientation professionnelle, installés en marge des concerts, proposent stages et bourses, tandis que des universités congolaises signent des conventions de coopération avec des écoles de son du Sénégal et de Côte d’Ivoire. En donnant aux futurs artistes des outils pour intégrer la chaîne de valeur musicale, FESPAM engage une dynamique qui pourrait réduire la dépendance aux marchés étrangers.
Cet ancrage dans la jeunesse confère au festival une portée civique. La semaine de concerts devient un espace de formation à la citoyenneté culturelle, sans discours moralisateur, mais avec le pouvoir subtilement persuasif du rythme. En refermant le programme, le Président de la République doit réaffirmer, selon ses proches conseillers, l’ambition d’ériger le Congo-Brazzaville en hub régional des industries créatives. Une ambition qui, si elle se poursuit, transformera le battement des tambours de cette édition 2025 en cadence durable pour l’économie et l’imaginaire du continent.