Brazzaville, carrefour sonore de l’Afrique contemporaine
La moiteur de juillet semblait redoubler l’effervescence lorsque les portes du Palais des congrès se sont ouvertes sur une marée humaine bigarrée. Diplomates, universitaires, créateurs et simples mélomanes se pressaient pour assister à la naissance officielle de la douzième édition du Festival panafricain de musique, rendez-vous initié en 1996 et devenu, au fil des ans, l’un des marqueurs identitaires les plus puissants de la diplomatie culturelle congolaise. Au-delà de l’apparat, la présence massive du public traduit une attente palpable : comprendre comment la musique, art de l’émotion immédiate, peut aujourd’hui structurer des chaînes de valeur durables pour le continent.
Un mot présidentiel qui donne le ton
Lorsque Denis Sassou Nguesso a prononcé, d’une voix volontairement claire, la formule d’ouverture, il n’a pas seulement validé un programme artistique. Le chef de l’État a réaffirmé, devant les caméras, la place stratégique de la culture dans le projet national de diversification économique. Cette articulation entre symbolique et pragmatisme se lit dans son exhortation à « donner toute sa place à la jeunesse africaine ». En quelques phrases, le président a souligné que l’avenir du secteur dépendra de sa capacité à valoriser le talent, à protéger les droits d’auteur et à maîtriser les outils numériques qui redessinent la circulation des œuvres.
La jeunesse congolaise, scène vivante et manifeste artistique
Le spectacle inaugural, placé sous la bannière « Année de la jeunesse », a mis en avant près de deux cents interprètes. Sous la direction du chorégraphe Gervais Tomadiatounga, ils ont revisité la palette des rythmes locaux, du slam urbain au tam-tam bantou, prouvant qu’un ancrage traditionnel peut dialoguer avec des écritures scéniques d’avant-garde. Le metteur en scène l’a reconnu, l’exercice a exigé une réorganisation minutieuse pour passer d’un canevas conçu pour trois cents artistes à un dispositif allégé mais plus lisible. Dans la salle, l’énergie des interprètes a porté un message de confiance, faisant écho aux aspirations d’une génération qui se voit déjà actrice de la transformation sociale.
Musique, économie et virage numérique : enjeux cruciaux
Le commissaire général Hugues Gervais Ondaye a rappelé que, si la musique demeure un art de la fête, elle est aussi un secteur hautement stratégique. L’essor des plateformes de diffusion en continu, la monétisation des catalogues et la fragilité des revenus des créateurs imposent, selon lui, une réflexion sur les cadres législatifs et les modèles économiques. Attaché à l’idée d’une « édition de la consolidation », il entend utiliser le Fespam comme forum de négociation, où experts en propriété intellectuelle, investisseurs et artistes pourront imaginer des solutions adaptées. La référence à la relance post-covid souligne combien la résilience reste au cœur des politiques culturelles actuelles.
Cinq axes programmatiques pour un festival-laboratoire
La ministre Marie-France Lydie Pongault a livré les contours d’une programmation dense, articulée autour d’une exposition d’instruments traditionnels, d’un symposium international, d’un marché professionnel, de scènes ouvertes aux nouveaux talents et d’une projection dédiée à la rumba, récemment inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité. Cette architecture vise à faire du Fespam un espace de maillage, capable de relier création, recherche, commerce et mémoire. Sur l’esplanade du Palais, les percussions improvisées répondent aux conférences plus feutrées, rappelant que, dans la culture africaine, le savoir circule autant par la parole savante que par le geste musical.
Vers une diplomatie culturelle renouvelée
Les messages de l’Unesco, diffusés en duplex, ainsi que les salutations du maire de Brazzaville, soulignent la portée diplomatique de l’événement. À l’heure où plusieurs économies africaines éprouvent des tensions budgétaires, la capacité du Congo à maintenir un festival de cette envergure offre un signal d’optimisme quant à la vitalité de ses infrastructures culturelles. Pour de nombreux observateurs, la réussite du Fespam pourrait servir de cas d’école sur la manière de concilier exigence artistique, contraintes sanitaires héritées de la pandémie et impératifs de rentabilité. Brazzaville se place ainsi, l’espace d’une semaine, au centre d’un réseau d’influences symboliques qui dépasse largement ses frontières.
Un horizon commun porté par huit jours de fête
En convoquant artistes confirmés et voix émergentes, décideurs publics et start-up de la tech, le Fespam 2025 crée une écologie culturelle où chaque acteur trouve matière à collaboration. Les concerts prévus sur les sites de Mayanga et Kintélé, tout comme les débats du symposium, laissent entrevoir une mosaïque d’idées nourrissant l’objectif d’un marché panafricain de la musique plus solide. Au-delà des projecteurs, l’ambition s’avère claire : faire de la capitale congolaise un laboratoire où se préfigurent les coopérations nécessaires à l’essor durable des industries créatives africaines.