Un chantier national inauguré en 2015
À l’heure où l’Afrique centrale s’interroge sur les meilleures voies de sécurisation de son capital humain, la République du Congo fait figure de laboratoire depuis le lancement, en 2015, du Système intégré de protection de l’enfant. L’initiative, portée par le ministère des Affaires sociales, de la Solidarité et de l’Action humanitaire avec l’appui constant de l’Unicef, repose sur l’idée qu’aucune politique de protection ne peut réussir si elle demeure cantonnée à un seul secteur. Éducation, santé, état civil, justice, forces de l’ordre et structures communautaires ont donc été conviés à une articulation plus étroite, afin d’offrir aux enfants un environnement résolument protecteur.
Deux zones pilotes à valeur d’exemple
Pour éprouver ce dessin ambitieux, les pouvoirs publics ont choisi deux territoires contrastés : Sibiti, chef-lieu de la Lékoumou, zone rurale aux réalités socio-économiques spécifiques, et l’arrondissement urbain de Moungali à Brazzaville, laboratoire citadin. Sur la période 2015-2022, un financement de 647 400 000 FCFA, issu des fonds thématiques Protection de l’enfant de l’Unicef, a permis de déployer des comités de veille, de former des magistrats, de moderniser l’état civil et de sensibiliser des milliers de familles. « Créer un réflexe de protection, du chef de quartier jusqu’au tribunal, telle est la clé de voûte du dispositif », résume Christian Roch Mabiala, directeur général des Affaires sociales.
Une évaluation sous le regard des standards internationaux
Huit ans après le premier déploiement, l’Unicef a commandité en 2024 une évaluation indépendante, fondée sur les critères pertinence, cohérence, efficacité, efficience, durabilité, genre, droits humains et équité. Selon Roland Bris Kongo, chargé des programmes enfance, le Sipe s’aligne sans ambiguïté sur les Objectifs de développement durable et sur le Plan national de développement. Toutefois, l’étude observe une planification parfois perfectible et un déficit de transversalité avec d’autres agences onusiennes, qui limite la mise en commun de ressources. Sur le plan budgétaire, la traçabilité des dépenses apparaît globalement satisfaisante, mais le reporting gagnerait à être davantage ventilé par âge, sexe et situation de handicap, afin de répondre aux exigences internationales en matière de données désagrégées.
Forces constatées et marges de progression
Dans les districts pilotes, le taux d’enregistrement des naissances aurait progressé de près de quinze points, tandis que le recours aux tribunaux pour enfants a été réduit grâce à une médiation communautaire plus fréquente, signe d’un apaisement social. Les évaluateurs saluent également la stabilité des comités locaux de protection, animés à soixante pour cent par des femmes, gage d’une approche sensible au genre. Néanmoins, l’articulation entre services sociaux et structures de santé reste jugée inégale, notamment en matière de prise en charge des violences domestiques. « Nous devons rendre visible chaque réussite, mais aussi chaque carence, car c’est la condition d’un passage à l’échelle réussi », insiste Roland Bris Kongo.
Recommandations pour une extension nationale
Le rapport formule dix pistes, dont l’intégration plus transversale des notions d’équité et de handicap, la désagrégation systématique des informations et la création d’un mécanisme de mobilisation de ressources attirant tant le secteur privé que les diasporas. Il suggère par ailleurs de décentraliser l’ensemble de la documentation produite afin de nourrir les collectivités et universités, et d’orchestrer des campagnes médiatiques de grande ampleur. À ce propos, les radios communautaires de la Cuvette et du Kouilou se disent prêtes à relayer des messages adaptés aux réalités locales, preuve que la dynamique dépasse désormais les frontières des zones pilotes.
Entre volontarisme étatique et partenariat durable
Le gouvernement congolais, qui a inscrit la protection de l’enfance parmi les priorités du Plan national de développement 2022-2026, voit dans le Sipe un levier de cohésion sociale. « La jeunesse représente plus de soixante pour cent de la population; la protéger, c’est stabiliser l’avenir », rappelle une source au ministère de l’Économie. L’Unicef, de son côté, réaffirme son engagement « à accompagner techniquement et financièrement » le déploiement, tout en encourageant la création de ponts avec d’autres partenaires, notamment la Banque mondiale sur l’état civil numérique.
Perspectives pour la génération montante
Si les conclusions de l’évaluation invitent à la modestie, elles témoignent aussi d’un progrès tangible : la protection de l’enfant n’est plus un domaine réservé aux seuls travailleurs sociaux, mais devient une responsabilité citoyenne partagée. Les autorités entendent capitaliser sur l’expérience de Sibiti et Moungali pour bâtir une stratégie nationale consolidée, arrimée aux objectifs de développement et aux engagements internationaux du Congo. À l’heure où les défis climatiques, économiques et numériques redessinent la condition de l’enfance, l’approche intégrée défendue par Brazzaville pourrait bien servir de référence régionale, illustrant la volonté du pays de conjuguer stabilité politique et innovation sociale au service des plus jeunes.