Alerte sanitaire confirmée
Le 26 juillet, le ministère congolais de la Santé et de la Population a officialisé la présence du vibrio cholerae sérogroupe O1, sérotype Ogawa, dans le district sanitaire de l’île-Mbamou. L’annonce, faite par le ministre Jean-Rosaire Ibara, se fondait sur deux échantillons positifs analysés par le Laboratoire national de santé publique, à la suite d’une hausse inhabituelle de diarrhées aiguës observée depuis le 10 juillet. Le bilan provisoire fait état de 103 cas suspects et de 12 décès probables, chiffres qui confèrent à la riposte un caractère d’urgence absolue.
Situé dans le département de Brazzaville, le district de l’île-Mbamou occupe une position stratégique sur le fleuve Congo : densité démographique élevée, mobilité fluviale intense et ressources hydriques parfois compromises favorisent la circulation de l’agent pathogène. Dans la sous-région, des signaux similaires en Angola (Cabinda) et en République démocratique du Congo confortent la nécessité d’une approche coordonnée à l’échelle du Bassin du Congo.
Une réponse institutionnelle concertée
Dès la confirmation officielle, un comité interministériel de crise s’est réuni sous l’égide du Premier ministre afin de superviser un plan de riposte décliné sur trois axes : surveillance épidémiologique, prise en charge clinique rapide et communication de proximité. Des équipes mobiles du Programme élargi de vaccination ont été redéployées pour appuyer le dépistage communautaire, tandis que les centres de traitement choléra (CTC) de Makelele et de Djoué ont bénéficié d’un renforcement en intrants essentiels, notamment sels de réhydratation orale, solutions de Ringer lactate et antibiotiques de première ligne.
Dans un entretien avec notre rédaction, le directeur du Laboratoire national, Dr Ange-Aristide Koula, souligne « la célérité inhabituelle de la chaîne décisionnelle », en saluant un temps de latence réduit entre suspicion clinique, confirmation biologique et déclenchement des opérations. La représentation locale de l’Organisation mondiale de la Santé prête quant à elle un concours technique pour le géoréférencement des cas et la formation accélérée du personnel infirmier.
Approche communautaire et responsabilité individuelle
La transmission oro-fécale du choléra confère aux comportements quotidiens un rôle déterminant. Le ministère a donc intensifié les campagnes radiophoniques et les mutuelles de quartier diffusent, par mégaphone, les consignes relatives au lavage des mains, à l’utilisation d’eau bouillie ou chlorée et à la désinfection rigoureuse des denrées. La Faculté des sciences de la santé de l’Université Marien-Ngouabi a pour sa part dépêché des étudiants en médecine sur les rives de la Sangha afin de sensibiliser pêcheurs et vendeuses de poissons fumés, acteurs clés d’une chaîne alimentaire à risque.
L’impact de ces messages dépend toutefois de l’accessibilité réelle aux services de base. Sur l’île, moins d’un ménage sur deux dispose d’un branchement à l’eau potable. Le gouvernement a commandé, auprès de la Société nationale de distribution d’eau, des bladders souples d’une capacité de 10 000 litres chacun pour desservir les points d’habitat les plus denses. Les autorités locales rappellent que la participation citoyenne demeure la première barrière contre la propagation.
Capacité hospitalière et chaîne d’approvisionnement
La prise en charge hospitalière repose sur la réhydratation rapide et l’administration d’antibiotiques ciblés. Brazzaville dispose de 120 lits dédiés dans ses CTC, extensibles à 200 en moins de 48 heures grâce aux tentes modulaires pré-positionnées par la Protection civile. La Pharmacie centrale a activé un couloir prioritaire pour l’importation de doxycycline et d’azithromycine, assorti d’exonérations douanières décrétées par le ministère des Finances.
La logistique reste néanmoins tributaire de la navigabilité du fleuve et de l’état des pistes intérieures. Des discussions sont en cours avec la mission médicale chinoise pour l’acheminement, par barges, de générateurs de chlore et de kits de potabilisation. « Chaque heure gagnée sur le calendrier d’approvisionnement se traduit par des vies sauvées », insiste Dr Mireille Ngakala, coordinatrice des CTC.
Interdépendance régionale et surveillance transfrontalière
Le fleuve Congo, artère économique majeure, traverse plusieurs capitales et rend illusoire toute stratégie strictement nationale. Les autorités congolaises ont donc relancé le mécanisme tripartite de Kinshasa-Brazzaville-Luanda pour le partage en temps réel des données épidémiologiques. Les équipes de l’OMS préparent un exercice conjoint de simulation de flambée transfrontalière, assorti d’un protocole harmonisé de contrôle sanitaire aux points d’entrée fluviaux.
Sur le plan diplomatique, cette coordination est saluée pour sa conformité au Règlement sanitaire international, mais aussi pour son potentiel de consolidation de la sécurité humaine dans la sous-région. Les partenaires techniques, Banque africaine de développement et Centre africain de contrôle des maladies en tête, explorent déjà des financements pour améliorer, à moyen terme, les laboratoires provinciaux et les réseaux d’alerte précoce.
Vers une culture de prévention durable
L’expérience récente démontre que la lutte contre le choléra ne se limite jamais à l’urgence. Dans une analyse publiée par l’Institut national de la statistique, les chercheurs rappellent que la faible couverture en latrines améliorées et la vulnérabilité des réseaux d’eau constituent des facteurs structurels. Le gouvernement a inscrit, dans son Plan national de développement 2022-2026, un programme d’assainissement hydraulique dont l’île-Mbamou devrait être pilote.
À court terme, la transparence des chiffres, la mobilisation communautaire et la coopération internationale composent la triade de la maîtrise épidémique. À plus long terme, l’enjeu consiste à transformer cette crise en levier de modernisation des infrastructures de santé et d’accès à l’eau. « Nous pouvons convertir notre vulnérabilité en horizon de progrès », résume avec optimisme le socio-anthropologue José-Landry Mpassi, qui voit dans ce sursaut collectif les prémices d’une gouvernance sanitaire plus résiliente.