Une entrée en matière aux allures de test psychologique
Sous le soleil alangui de Zanzibar, théâtre choisi par la Confédération africaine de football pour la phase de groupes du Championnat d’Afrique des Nations 2024, le Congo-Brazzaville a signé un résultat nul qui, d’emblée, brouille les cartes de la poule B. Menés dès la 29e minute par un but opportuniste de l’ailier soudanais Musa, les Diables rouges ont attendu le crépuscule de la rencontre pour égaliser, grâce à la ténacité de Carly Ekongo Landou. La tension s’est alors condensée en quelques secondes : Japhet Mankou croyait offrir la victoire aux siens, avant que l’arbitre ne sanctionne une main préalable, décision confirmée par l’assistance vidéo.
Loin de raviver les oscillations émotionnelles habituelles d’un public friand de symboles, ce partage des points révèle au contraire une équipe congolaise capable de sang-froid. « Nous avons vu des garçons qui refusent la panique », souligne l’ancien sélectionneur Barthélémy Ngatsono, aujourd’hui consultant technique. Après une préparation discrète à Oyo, la formation dirigée par Isaac Ngata illustre ainsi la volonté affichée des autorités sportives de placer le mental collectif au cœur de leur stratégie de haut niveau.
Analyse tactique : pressing soudanais et réactions congolaises
Le rapport de forces du premier acte a plutôt tourné à l’avantage des Faucons du Soudan. Leur 4-4-2 compact a étouffé la relance courte congolaise, forçant les milieux Makouana et Bissila à décrocher exagérément. La faille est venue d’un décalage entre les deux axes défensifs : Musa, lancé plein champ, a profité d’une couverture en retard de Mankou pour ouvrir la marque.
Au retour des vestiaires, l’encadrement congolais a corrigé la hauteur du bloc en positionnant Zouzou sur la première rampe de lancement, véritable plaque tournante chargée de casser la ligne de pression soudanaise. Le recours aux passes diagonales a déplacé le danger vers les couloirs, territoire préféré du virevoltant Kader Bidimbou. Les chiffres parlent : 61 % de possession congolaise après la pause, neuf centres dans la surface adverse, et surtout cette égalisation tardive, fruit d’un contre-pressing bien orchestré. Pour l’analyste tactique sénégalais Mamadou Diagne, rencontré en tribune, « le Congo démontre qu’il sait changer de peau selon la physionomie ». Une mutabilité qui sera déterminante face au Sénégal, adversaire plus vertical encore.
Perspective historique : les Diables rouges dans la mythologie sportive nationale
Depuis leur sacre à la Coupe d’Afrique des Nations 1972, les Diables rouges incarnent un prisme d’unité au-delà des appartenances régionales. À chaque tournoi continental, l’attente populaire transcende la seule performance sportive ; elle se nourrit également d’un discours officiel valorisant la jeunesse, la cohésion et la paix. La communication fédérale, relayée par les chaînes nationales, insiste sur le rôle de l’équipe comme « ambassade informelle » d’un pays désireux de consolider son rayonnement culturel en Afrique centrale.
Cette dimension symbolique trouve un écho particulier parmi la diaspora. À Pointe-Noire comme à Paris, les associations de supporters décrivent l’édition 2024 du Chan comme un « laboratoire de renouveau ». L’exigence de résultat existe, mais elle se pare d’un argument pédagogique : montrer que la voie du travail et de la discipline peut porter rapidement ses fruits. Le sociologue du sport Alain Mavoungou observe que « l’État appuie financièrement les préparations d’équipes locales pour stimuler un écosystème où la formation, l’encadrement et l’arbitrage tirent vers le haut l’ensemble du football national ».
Prochain rendez-vous face au Sénégal : enjeux et scénarios
Le calendrier place désormais le Congo devant une équation complexe. En affrontant le Sénégal le 12 août, les hommes d’Isaac Ngata défieront l’une des sélections les plus structurées du continent, double lauréate sortante de la Coupe d’Afrique des Nations U20. Sur le plan comptable, un succès ouvrirait grand les portes des quarts, tandis qu’un revers imposerait une victoire impérative contre le Mozambique lors de la troisième journée.
Pour se donner toutes les chances, le staff a prévu une récupération active autour d’un protocole alliant cryothérapie mobile et analyse vidéo. Les entraînements prévus au stade Amaan de Zanzibar devraient insister sur la couverture des ailes, secteur où les Lionceaux sénégalais excellent. Le capitaine Junior Makiesse préfère retenir la note d’espoir : « Nous venons de prouver que nous pouvons revenir au score. Il nous manque désormais l’efficacité de départ ».
Au-delà de l’enjeu sportif, la rencontre contre le Sénégal sera scrutée par les observateurs économiques. Le Chan, réservé aux joueurs évoluant dans leurs championnats nationaux, sert de vitrine à des talents susceptibles de rejoindre les rubriques des transferts. Pour nombre de jeunes Congolais, il constitue donc un espace d’ascension socio-professionnelle, fort de la politique nationale de valorisation des sports comme vecteur d’emploi durable.
Enjeux dépassant la ligne de touche
Le match nul inaugural face au Soudan aura produit, en définitive, un double enseignement. Sur le rectangle vert, il révèle une escouade capable de résilience et d’ajustements tactiques. Hors des pelouses, il confirme la place singulière du football dans l’imaginaire collectif congolais : miroir des ambitions d’une jeunesse avide de reconnaissance, catalyseur d’unité nationale et même, par ricochet, ambassade silencieuse de la diplomatie culturelle brazzavilloise.
À l’heure où les projecteurs de Zanzibar s’éteignent, les Diables rouges rangent leurs crampons quelques jours pour mieux affronter le défi sénégalais. Qu’ils harponnent ou non la première place du groupe, l’essentiel se joue désormais dans la constance. Une constance que le staff, les institutions sportives et le public appellent d’une même voix, convaincus que le Chan 2024 peut, par petites touches, nourrir l’édifice d’un football congolais stable, compétitif et fier de ses racines.