Brazzaville rallume la flamme d’Eta-Onka
Le 15 juillet 2025, sous les manguiers ombrageux d’un centre culturel de Bacongo, la parole s’est faite mémoire. À l’initiative de l’Association des anciens enfants de troupe, la capitale congolaise a inauguré son premier Café littéraire, épousant la 16ᵉ Journée nationale des AET. Au cœur des échanges : l’œuvre protéiforme de Claude Emmanuel Eta-Onka, général de brigade disparu à Noël 2024 et auteur d’une dizaine de titres où se croisent poésie, nouvelles et réflexions stratégiques.
Un dispositif littéraire aux couleurs militaires
En animant la rencontre, le poète Serge Eugène Ghoma Boubanga – promotion « Gérard Neddy Ndounga » – a d’emblée rappelé l’ancrage martial d’un écrivain lauréat, dès 1973, du Prix de poésie du 10ᵉ anniversaire de la Révolution congolaise. « La passion du général-écrivain pour la poésie a jailli dans les cours de caserne, portée par la discipline et l’esprit d’équipe », a-t-il déclaré, soulignant qu’Eta-Onka publia cinq recueils entre 1991 et 2016. Cette trajectoire illustre la porosité constructive entre ordre militaire et effervescence créative au Congo-Brazzaville, souvent méconnue du grand public.
Une esthétique du nationalisme lyrique
Les intervenants ont insisté sur l’hybridité d’une œuvre « à la fois creuset nationaliste et réservoir de traditions ». Le vocabulaire de la savane, les toponymes côtiers et les chants rituels irriguent des vers qui revendiquent une francophonie enracinée. Selon Ghoma Boubanga, « la nostalgie des rassemblements de corps de troupe se marie à la ferveur des veillées villageoises », offrant au lecteur une vision inclusive du patriotisme. Cette poétique de l’alliance renvoie à la stratégie d’équilibre prônée par la République dans ses politiques culturelles : exalter la diversité sans diluer l’unité.
Au-delà du poète : le nouvelliste explorateur
L’écrivain Jessy Loemba, président du Forum des gens de lettres, a déplacé le projecteur vers « Tandaliennes », recueil de nouvelles écrit en langue française mais inspiré du lexique vili. « Choisir un terme hors de sa matrice kukuya démontre une curiosité linguistique rare », a-t-il observé, y voyant l’écho d’une ouverture qui traverse les frontières ethniques. Là encore, l’auteur s’affirme en passeur, réconciliant héritage militaire, imaginaire littéraire et pluralité culturelle propre au Congo d’aujourd’hui.
Le marché du livre : une urgence patrimoniale
Au fil de la matinée, un constat s’est imposé : la quasi-absence des ouvrages d’Eta-Onka dans les librairies locales. Tirages confidentiels, maisons d’édition disparues et circuits de distribution fragiles limitent l’accès à un corpus pourtant enseigné dans plusieurs lycées. « Il ne s’agit pas uniquement de réimprimer ; il faut accompagner la jeune génération vers ces textes », a souligné Ghoma Boubanga, invitant les AET à constituer un fonds dédié. L’appel résonne avec les ambitions gouvernementales de relancer la chaîne du livre, priorité régulièrement rappelée lors des conférences budgétaires culturelles.
Vers un colloque sur plume et képi
Conseiller culturel du chef de l’État, le professeur André-Patient Bokiba a proposé d’élargir la réflexion : dresser un inventaire des écrivains en uniforme et sonder « l’éventuelle singularité d’une écriture militaire ». Un colloque, a-t-il précisé, permettrait d’interroger la dialectique entre obéissance institutionnelle et liberté créatrice, sans opposer les deux sphères. Une telle initiative s’inscrirait dans la dynamique jubilaire de l’École militaire préparatoire général Leclerc, matrice commune à de nombreux auteurs-soldats.
Mémoire, transmission et diplomatie culturelle
En refermant ce premier Café littéraire, organisateurs et public ont salué la portée diplomatique d’un événement capable de fédérer civils et militaires autour du livre. La figure d’Eta-Onka rappelle que la culture agit comme un soft power susceptible d’accompagner le rayonnement international du Congo-Brazzaville, en parfaite harmonie avec les axes prioritaires du ministère en charge des arts et des lettres. La republication annoncée des textes du général-poète pourrait ainsi devenir le jalon d’une politique pérenne de conservation, offrant aux jeunes lecteurs une passerelle entre mémoire nationale et imaginaires futurs.