Un samedi de grâce à la préfecture de Brazzaville
Le 13 août, la grande salle de la préfecture s’est transformée en cathédrale sonore. Des rangées bondées, un silence presque religieux, puis les premiers pizzicati des violons de l’Orchestre symphonique des enfants de Brazzaville — Oseb — ont jailli, nets, pleins d’allant.
À mesure que se déroulait la soirée, les jeunes musiciens, âgés de huit à dix-sept ans, ont tenu leur audience en haleine. On a senti la concentration des pupitres, l’assurance des solos et, surtout, cette joie contagieuse de jouer ensemble une musique dite savante.
Des fondations solides, un appui germanique décisif
Projet né en 2018, l’Oseb est le fruit d’un don de violons, altos et cuivres octroyé par l’ambassade d’Allemagne. Les instruments sont arrivés par caisse maritime, ouvrant un horizon inédit à de jeunes mélomanes souvent rompus aux rythmes urbains.
Depuis, des experts du Senior Experten Service se relaient à Brazzaville. Ils affûtent les archets, corrigent les positions, transmettent la rigueur du phrasé classique. « Nous ne venons pas imposer Mozart, nous venons partager une méthode », confie le chef invité, Klaus Vogel, dans un français teinté d’accent rhénan.
La présence au concert de l’ambassadeur Wolfgang Klapper, des membres du gouvernement et d’élus municipaux souligne l’appui institutionnel. L’approche correspond aux objectifs culturels nationaux visant à faire éclore des talents et à renforcer le dialogue interculturel.
Pour le Dr Fouemina Tanguy, coordinateur local, « cette collaboration célèbre l’amitié entre peuples et démontre qu’investir dans l’art, c’est investir dans la paix et l’avenir ».
Un répertoire qui voyage entre continents
Le programme mijoté pour la soirée n’avait rien d’académique figé. À la valse n°2 de Chostakovitch a succédé Brazzavillois de Makoumba-Nzabi, avant l’émouvant Merci maman d’Alphonse Ntaloulou. Chaque transition a rappelé que la musique classique n’est pas un univers étranger mais un langage ouvert.
Point d’orgue : Indépendance cha cha, hymne panafricain de Joseph Kabasele. Au premier accord de la clarinette, certains spectateurs ont spontanément battu des mains. L’arrangement symphonique, subtilement cuivré, a redonné éclat à cette mélodie iconique des lendemains de 1960.
Effets d’entraînement sur la jeunesse congolaise
À Brazzaville, les écoles primaires manquent parfois de matériel artistique. En offrant la possibilité d’apprendre un instrument à cordes, l’Oseb bouleverse les trajectoires. Plusieurs jeunes filles venues du quartier Talangaï, auparavant novices, lisent désormais couramment la clé de sol.
Fidèle mélomane, la styliste Armelle Mampouya confie sa surprise : « Je pensais que le classique appartenait à d’autres. Voir ces enfants, c’est comprendre que nous pouvons tout aborder, sans renier nos propres sonorités ». Son témoignage fait écho aux ambitions d’émergence culturelle nationale.
Les psychologues soulignent que la pratique orchestrale développe l’écoute active et la discipline collective, compétences transférables à l’école comme dans l’entreprise. Le ministère en charge de la Jeunesse observe déjà un recul de l’absentéisme chez les inscrits au programme.
À plus long terme, certains parents envisagent des carrières musicales internationales pour leurs enfants. D’autres y voient simplement un complément humaniste à un parcours scolaire classique, à l’image des élites d’antan formées au conservatoire.
Prochains défis et rayonnement attendu
L’agenda s’annonce chargé. Un concert éducatif est prévu en septembre, suivi d’une tournée des lycées. L’objectif est de toucher 5 000 élèves et de semer l’idée qu’une symphonie peut naître dans un quartier populaire aussi sûrement qu’un morceau de rumba.
Sur le plan matériel, le besoin le plus pressant reste la rénovation d’une salle dédiée à la répétition. Des discussions sont en cours avec la municipalité pour accéder à l’ancien cinéma Rex, bâtiment Art déco à l’acoustique prometteuse.
À l’international, la direction de l’Oseb lorgne le festival Young Euro Classic de Berlin. « Nos enfants peuvent dialoguer d’égal à égal avec leurs pairs berlinois ou lisboètes », assure le professeur de trompette Élie Bafouda, convaincu qu’un visa culturel a plus d’impact qu’un discours.
En attendant, la prestation du 13 août continue de résonner dans les cafés du Plateau. Les vidéos circulent sur les réseaux, cumulent des vues et changent le regard sur le potentiel artistique congolais. À chaque partage, une note d’espoir supplémentaire s’invite dans la capitale.