Brazzaville en effervescence culturelle
La nuit du 19 juillet, le majestueux palais des congrès de Brazzaville s’est transformé en un creuset de sons et de mouvements où la rythmique de la rumba se mariait à la verve du slam. Plus de 250 danseurs, encadrés par les slameurs Mariusca Moukengue et Black Panthère ainsi que par le chorégraphe-musicien Gervais Tomadiatunga, ont ouvert la 12ᵉ édition du Festival panafricain de musique (Fespam). La performance, pensée comme un tableau vivant, a déroulé un fil narratif centré sur la force créatrice de la jeunesse congolaise, sous le regard attentif du président Denis Sassou Nguesso, de la première dame et de nombreuses délégations étrangères.
Le public, conquis d’emblée, a vu défiler des tableaux successifs évoquant la diversité culturelle du Congo : rythmes lingalaphones, chants téké, pas de danse inspirés du patrimoine kongo. Au-delà de la virtuosité, la scène a réaffirmé la capacité des arts vivants à tisser un lien social et à dialoguer avec les enjeux économiques du continent, thème central retenu cette année.
La jeunesse congolaise comme fer de lance
Intitulé « L’année de la jeunesse », le spectacle-pilote a offert un miroir aux aspirations d’une génération en quête d’autonomie. Dans un slam vibrant, Mariusca Moukengue a rappelé que « nos mots s’écrivent en décibels et bâtissent des ponts là où les frontières deviennent sourdes ». Le message est clair : la relève culturelle ne souhaite plus attendre les lendemains, elle entend devenir dès aujourd’hui actrice de la croissance créative et de l’auto-entreprise.
Cette dynamique s’inscrit dans la stratégie gouvernementale de mise en valeur des industries culturelles et créatives (ICC), secteur identifié comme levier de diversification économique. Les chorégraphes, eux, ont illustré la possible cohabitation entre tradition et modernité : la fluidité du hip-hop se fondait dans la gestuelle des danses funzi, comme pour signifier qu’innovation et héritage ne sont pas antinomiques.
Slam et rumba : dialogue d’un patrimoine vivant
En décembre 2021, la rumba congolaise a rejoint la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Deux ans plus tard, le Fespam capitalise sur cette reconnaissance en invitant la poésie urbaine du slam à dialoguer avec une tradition pluriséculaire. « Nous voulons montrer que l’oralité africaine épouse les technologies contemporaines sans perdre son âme », confie Black Panthère, dont la prestation a mêlé punchlines multilingues et samples électroniques.
Gervais Tomadiatunga, figure du métissage chorégraphique, a quant à lui proposé un voyage au-delà des genres : influences n’dombolo, échos afro-jazz et variations sound-system ont créé une fresque sonore fédératrice. Cette hybridation reflète l’esprit même du Fespam : un laboratoire où les identités musicales se rencontrent pour tracer les contours d’un avenir commun.
Le Fespam, un rendez-vous panafricain depuis 1995
Créé il y a près de trois décennies sous l’égide de l’Union africaine, le Fespam s’est progressivement imposé comme l’un des grands carrefours musicaux du continent. Sa périodicité biennale, toujours ancrée à Brazzaville, confère à la capitale congolaise un rôle de plaque tournante où se croisent artistes, chercheurs et opérateurs culturels.
L’organisation de cette 12ᵉ édition témoigne d’une résilience logistique accrue : malgré les contraintes sanitaires mondiales récentes, le comité a su maintenir un programme dense mêlant concerts, colloques scientifiques et marchés professionnels. Des délégations venues de toute l’Afrique centrale, mais aussi d’Europe et d’Amérique latine, soulignent la dimension diplomatique d’un festival devenu vitrine du soft power congolais.
Enjeux économiques : de la scène aux plateformes numériques
Le thème « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique » résonne particulièrement dans un contexte où les plateformes de streaming redessinent les circuits de la valeur. Les autorités congolaises misent sur la professionnalisation des acteurs locaux afin qu’ils tirent profit de ces nouveaux canaux de monétisation. Le ministère de la Culture, présent en force, a évoqué la création prochaine d’un hub de formation aux métiers du digital appliqués à la musique, initiative accueillie avec enthousiasme par les collectifs d’artistes.
Parallèlement, l’impact touristique n’est pas négligeable. Les hôtels affichent complet durant la semaine du festival, les marchés artisanaux voient affluer des visiteurs internationaux et les opérateurs télécoms enregistrent des pics de consommation de données, preuve que la consommation culturelle et numérique marchent main dans la main.
Cap sur l’avenir : créativité et cohésion nationale
Au terme d’une ouverture haute en couleur, le sentiment dominant est celui d’une cohésion nourrie par la culture. La scène a prouvé, s’il le fallait encore, que le Congo détient une jeunesse talentueuse susceptible de porter son image au-delà des frontières. « Nous ne demandons qu’une chose : la confiance », rappelle Gervais Tomadiatunga, en écho à l’appel lancé depuis la scène.
Le Fespam 2023 entend poursuivre sur cette lancée : un programme de concerts itinérants dans les 12 départements, une exposition consacrée aux archives sonores d’Afrique centrale et un colloque sur l’intelligence artificielle dans la musique africaine rythmeront les prochains jours. Autant d’étapes qui, de l’avis des observateurs, consolideront la place de Brazzaville comme capitale musicale de la sous-région, tout en confirmant la volonté du gouvernement de faire de la culture un pilier stratégique du développement durable.