Un Salon sous haute tension créative
Au Centre culturel Jean-Baptiste-Tati-Loutard, l’odeur résineuse flotte entre tables de sculptures et fauteuils design. L’édition 2024 du Salon des métiers du bois s’ouvre dans la ferveur, mais l’ambiance demeure traversée par une préoccupation : comment travailler lorsque la planche brute se fait rare ?
Dans son discours inaugural, Patrick Hubert Monampassi, figure de l’enseigne Meubles Monampassi, a raconté sa tournée matinale dans les quincailleries de Talangaï. « Le meranti que j’achetais l’an dernier à 9 000 francs CFA dépasse désormais 14 000 », confie-t-il, sourire crispé sous le flash des smartphones.
Une ressource abondante, pourtant difficile d’accès
Avec 22 millions d’hectares de forêt, le Congo fait partie des grandes puissances forestières d’Afrique centrale. Les statistiques du ministère de l’Économie forestière estiment la production annuelle à 2,7 millions de mètres cubes. Sur le papier, le pays n’a rien d’un désert sylvestre.
Mais la majorité des grumes part vers les scieries industrielles du littoral, puis franchit l’Atlantique. Les petites unités artisanales, dépourvues de contrats d’abattage, dépendent des surplus rassemblés par des intermédiaires urbains. Chaque transfert ajoute des marges, d’où l’augmentation observée dans les boutiques spécialisées.
La logistique, talon d’Achille des créateurs urbains
Gisèle Milandou, créatrice de lampes en bois de fer, résume la chaîne. « Je sillonne la Nationale 2, j’ajoute le carburant, la location du camion, puis les taxes locales. Au marché final, l’accastillage coûte parfois plus que le plateau tournant d’un showroom parisien », ironise-t-elle, scie circulaire en main.
Les transporteurs confirment que l’acheminement d’un plateau Owendo–Brazzaville dépasse actuellement 420 000 CFA, en raison de la hausse mondiale du diesel. Résultat : le bois exotique se vend parfois au même prix qu’un MDF importé de Turquie, d’où la concurrence grandissante des matériaux composites.
Des autorités conscientes et des pistes d’action
Interrogé sur place, un responsable de la Direction générale de l’artisanat assure que « le gouvernement finalise un décret créant trois dépôts de bois d’essences prioritaires dans les arrondissements périphériques ». Ces plateformes doivent mutualiser stockage et sciage léger afin de réduire les surcoûts supportés par les artisans.
L’Institut national du bois, inauguré en 2022 à Ouesso, propose déjà des formations à la transformation primaire destinées aux jeunes diplômés en quête de débouchés. L’idée : rapprocher la valeur ajoutée des bassins de production, puis réacheminer des plateaux calibrés vers les villes.
Industries et artisans, un dialogue en construction
Des exploitants forestiers, tels la société Industrie Bois Congo, reconnaissent qu’ils ne fournissaient autrefois que le gros export. « La nouvelle réglementation sur la transformation locale stimule une offre vers les créateurs », indique son directeur commercial, qui annonce un quota mensuel réservé à l’artisanat brazzavillois.
Les syndicats d’artisans saluent ces ouvertures, tout en réclamant un calendrier précis. Leur proposition : contractualiser via des foires trimestrielles où usines et ateliers fixeraient ensemble volumes et prix, sous l’œil de la Banque postale du Congo, prête à financer les commandes groupées.
Création sous contraintes : l’art de contourner la pénurie
En attendant des filières plus fluides, les artistes développent des stratégies inventives. Le collectif Ebènes Rebelles recolle des chutes d’ipé pour composer des paravents mosaïques à la mode Memphis. D’autres mêlent bambou, raphia et résine biodégradable, réduisant de moitié la part de bois noble dans chaque pièce.
Ces détournements séduisent les architectes d’intérieur de Pointe-Noire, friands d’objets hybrides aux accents écologiques. « Nos clients européens veulent des meubles responsables, et le storytelling d’un bois optimisé plaît », explique Carine Goma, consultante en design durable, venue chasser des nouveautés au Salon.
Le marché régional, horizon stratégique
Au-delà des frontières, la demande s’intensifie. La République démocratique du Congo et le Cameroun accueillent désormais des showrooms consacrés au mobilier congolais. Selon l’Agence de promotion des exportations, ces ventes auraient progressé de 11 % en 2023 malgré le renchérissement des intrants.
Pour conserver cet élan, les artisans misent sur la certification FLEGT qui rassure les acheteurs sur l’origine légale du bois. Or, ce label exige une traçabilité que seule une meilleure organisation logistique peut garantir. D’où l’urgence, pour tous les acteurs, de converger vers des filières plus transparentes.
Innovation technologique et transmission culturelle
Le FabLab Makélékélé teste l’impression 3D de moules destinés au moulage de placages. Ce croisement entre tradition et numérique ouvre des voies à la production en série sans sacrifier l’esthétique sculpturale congolaise. Les maîtres menuisiers y voient aussi un moyen d’attirer des apprenants férus de technologies.
Alain Banzouzi, chercheur à l’Université Marien-Ngouabi, souligne que « l’enjeu est double : moderniser la production tout en sauvegardant le geste hérité des maîtres Kongo ». L’État soutient cet objectif via un programme d’incubation financé par la Banque africaine de développement.
Perspectives économiques pour la jeunesse créative
Le secteur artisanal emploie environ 60 000 personnes, selon l’Observatoire congolais de l’économie créative. Chaque banc de sciage supplémentaire pourrait générer dix postes qualifiés. Face au taux de chômage des urbains de moins de trente ans, l’accès au bois apparaît comme une politique active d’emploi et d’inclusion.
Les autorités visent d’ailleurs une contribution de 5 % du PIB pour l’économie culturelle d’ici 2030. Atteindre cet objectif passe inévitablement par la stabilisation des coûts des matières premières, condition sine qua non pour exporter à grande échelle et professionnaliser les ateliers.
Un optimisme lucide pour l’avenir
En clôture du Salon, l’artiste-sculpteur Yves Mankessi a brandi un maillet en doussié poli : « Chaque fibre raconte la forêt. Si nous protégeons la ressource, nous protégeons aussi notre avenir créatif ». Un tonnerre d’applaudissements a retenti, preuve que l’espoir reste le moteur des ateliers.
Le défi réside désormais dans la coordination. Artisans, exploitants et institutions alignent progressivement leurs stratégies. S’ils parviennent à réduire les goulots d’étranglement logistiques, les meubles signés Brazzaville pourraient bientôt occuper les halls d’hôtels à Kigali, Dakar ou Abidjan, témoignant du savoir-faire congolais dans toute sa vitalité.