Mpaka, épicentre d’un rituel culinaire solidaire
Il est à peine midi, ce mercredi de juillet, lorsque le parvis du centre social de Mpaka se transforme en vaste cantine à ciel ouvert. Sur des nappes improvisées, manioc, poisson braisé et feuilletés de banane plantain témoignent d’une générosité à la fois simple et méthodique. L’Association des jeunes mères du Congo (AJMC), conduite par Michaelle Moutouari Tchicamboud, y lance son programme « Un repas pour tous ». L’objectif affiché est limpide : faire de la convivialité le premier vecteur d’une cohésion communautaire déjà célébrée sous le vocable de « Vivre ensemble ».
L’association n’en est pas à sa première initiative philanthropique, mais la formule du repas partagé, répétée chaque mercredi, inscrit la solidarité dans la régularité. « Nous ne distribuons pas uniquement des calories, nous invitons les habitants à se parler, à se reconnaître », explique la présidente dans un sourire qui contraste avec la rigueur organisationnelle de l’événement.
Aux sources d’un vivre-ensemble réhabilité
Les sociologues congolais s’accordent à rappeler que Pointe-Noire, ville-archipel aux identités multiples, a souvent fait de la table un espace de négociation sociale. Le programme de l’AJMC s’inscrit donc dans une tradition où l’aliment sert de prétexte à la circulation de la parole, à l’échange d’expériences et, in fine, au tissage d’un lien civique. « Dans toute cité portuaire, les flux migratoires créent un besoin aigu de rituels intégrateurs », résume le chercheur Firmin Massamba du Centre d’études sociales africaines.
Adossé à cette lecture anthropologique, le repas du mercredi devient un outil de diplomatie de proximité. En filigrane, il renforce les politiques nationales de cohésion qui, depuis plusieurs années, encouragent les organisations de la société civile à porter des projets de solidarité concrète. L’AJMC rejoint ainsi le cadre associatif encouragé par les autorités locales, soucieuses de consolider un climat social apaisé indispensable au développement économique.
Du manioc à la compétence : la promesse d’un continuum d’aide
Loin de se limiter au volet alimentaire, le programme s’adosse à un calendrier d’actions complémentaires. Dès la rentrée universitaire, l’AJMC prévoit des ateliers de renforcement académique pour les étudiants défavorisés et des formations accélérées en gestion de micro-projets. L’esprit est clairement de transformer la dépendance ponctuelle en autonomisation progressive. « Donner un repas ouvre la discussion ; transmettre un savoir ouvre l’avenir », insiste Michaelle Moutouari Tchicamboud, esquissant un modèle circulaire où l’entraide se double d’empowerment.
Cette stratégie s’aligne sur la dynamique déjà amorcée en mars dernier, lorsque l’association avait offert du matériel agricole aux femmes de Mouyondzi. Le lien est évident : qu’il s’agisse de labourer un champ ou de dresser une table, l’enjeu reste le même – créer les conditions matérielles d’une prise d’initiative citoyenne.
Réactions et effets perçus sur le terrain
Au sortir du premier service, les témoignages convergent. Maman Clarisse, commerçante de produits vivriers, affirme que « le repas du mercredi permet de souffler un peu et de parler des vraies difficultés sans gêne ». Le conseiller municipal Éloi Ndinga, présent incognito parmi les convives, voit dans l’événement « un baromètre de la confiance locale ». Quant aux étudiants invités à animer la logistique, ils découvrent la face sociale d’un quartier souvent réduit à ses enjeux économiques.
Le sentiment d’appartenance semble ainsi renforcé, nourri par la visibilité accordée aux franges parfois silencieuses de la population – mères isolées, personnes âgées, jeunes en recherche de repères. Plusieurs participants soulignent également la dimension symbolique du don : le repas n’émane pas d’une institution distante mais d’une association dirigée, portée et financée en partie par des habitants du cru.
Perspectives de pérennisation et défis logistiques
Si le succès populaire paraît acquis, la répétition hebdomadaire soulève des défis d’approvisionnement et de financement. L’AJMC mise sur un panachage entre contributions individuelles, partenariats privés et aides publiques ponctuelles. À moyen terme, un fonds rotatif devrait être constitué afin de sécuriser l’achat de denrées de base et l’entretien des infrastructures culinaires mobiles. L’association explore par ailleurs le mécénat culturel ; plusieurs artistes de Pointe-Noire ont proposé des performances in situ, susceptibles d’élargir la portée du projet et de convertir chaque repas en happening artistique.
Dans une ville où les tensions économiques engendrent parfois des replis identitaires, la régularité du « Repas pour tous » s’affirme déjà comme un antidote silencieux. Sans grandiloquence, l’initiative capsule l’idéal d’un Congo solidaire, où l’entraide quotidienne fait office de politique sociale à visage humain.