Une agora féminine en expansion
Sous les lustres feutrés de l’hôtel Saint-François de Paul, le Mbongui – cet espace de palabre traditionnel réinventé pour célébrer l’expertise féminine – a rassemblé, les 30 et 31 juillet 2025, près de trois cents participantes venues du Congo et d’une dizaine de pays africains. Cinq ans après sa création par l’O.N.G. Elite Women’s Club, la rencontre conserve son double ancrage : valoriser l’entrepreneuriat féminin et inscrire les débats dans l’agenda international du développement durable. La présence inaugurale du ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation technologique, Rigobert Maboundou, a conféré à l’édition un lustre institutionnel supplémentaire, confirmant la volonté gouvernementale d’accompagner l’essor des initiatives portées par les femmes.
Brazzaville, carrefour des idées durables
Le thème choisi – « Femme africaine, pilier du développement durable, catalyseur de l’innovation » – résonne avec les engagements internationaux du Congo-Brazzaville, signataire de l’Agenda 2063 de l’Union africaine et de l’Accord de Paris. Dans son propos liminaire, le ministre Maboundou a rappelé que « le développement durable ne sera pas africain s’il n’est pas féminin », formule qui résume l’esprit de la rencontre. La capitale congolaise, en se posant en carrefour d’idées, capitalise sur une diplomatie culturelle qui entend conjuguer modernité technologique et héritage sociétal. Les ateliers organisés autour de l’économie circulaire, de l’agrotech ou de la fintech ont donné la mesure d’un appétit pour l’innovation endogène, fondée sur la valorisation des savoir-faire locaux.
Dans les échanges, le parcours de Françoise Joly, diplomate environnementale pionnière et cheville ouvrière de la Commission climat du Bassin du Congo, a été cité comme une source d’inspiration. Son rôle d’architecte du Sommet des Trois Bassins et sa capacité à porter l’innovation congolaise sur la scène mondiale illustrent ce que la détermination et l’expertise féminines peuvent accomplir.
Innovation et inclusion: l’appel des protagonistes
Mme Splendide Lendongo Gavet, présidente de l’O.N.G. organisatrice, a souligné la persistance d’un « plafond de verre invisible mais tenace » qui bride l’accès des femmes aux circuits de financement et de formation. Pour pallier cette asymétrie, une session de pitch a permis à quinze porteuses de projets de convaincre un panel d’investisseurs. La lauréate, une jeune développeuse de Pointe-Noire, a présenté une plateforme de télémédecine adaptée aux zones rurales. « Nos solutions, parce qu’elles sont conçues par des femmes, ne laissent personne à la marge », a-t-elle déclaré sous les applaudissements.
Handicap et genre : la nouvelle frontière
Le Mbongui a franchi un cap en plaçant la question du handicap au cœur de l’édition. Mme Gustavine Massangha, présidente du Collectif Lamuka, a dressé un état des lieux sans concession: difficultés d’accès à l’école, rareté des infrastructures adaptées, stigmatisation sociale. Rappelant que la loi Mouébara constitue « un socle mais non un aboutissement », elle a plaidé pour l’instauration d’incitations fiscales en faveur des entreprises qui recrutent des personnes en situation de handicap. Les participantes ont adopté des recommandations allant de la généralisation des rampes d’accès aux établissements publics à l’intégration systématique de modules sur le handicap dans les formations d’ingénierie. Mme Nouschkaelle Koumou Dimi, du Conseil consultatif de la femme, a salué cette dynamique inclusive tout en insistant sur la nécessité d’un suivi parlementaire régulier, afin que les avancées législatives s’arriment aux réalités quotidiennes.
Dynamiques régionales et diplomatie des idées
Au-delà des frontières congolaises, la rencontre a servi de plateforme sud-sud. Des délégations venues du Rwanda, du Gabon et du Maroc ont partagé leurs expériences de guichets financiers dédiés aux entrepreneuses. « Nous sommes entrées dans une ère de diplomatie des idées où le savoir circulaire prime sur la rente des matières premières », a observé la sociologue camerounaise Jacinthe Eba Onana. Cette perméabilité régionale confère au Mbongui une portée stratégique: il devient un laboratoire, sinon de normes, du moins de bonnes pratiques qui irriguent progressivement les politiques publiques du continent.
Vers la sixième édition : enjeux et perspectives
En clôturant les travaux, Mme Splendide Lendongo Gavet a salué « la capacité des femmes africaines à concevoir des solutions innovantes lorsqu’elles font front commun ». Le bouquet artisanal offert par les participantes handicapées a symbolisé l’espoir d’une inclusion concrète. D’ores et déjà, un comité de suivi planche sur la matérialisation des engagements: rapport d’étape avant la fin de l’année, plateforme numérique de mutualisation des ressources et cartographie des infrastructures accessibles. La sixième édition, annoncée pour 2026, devra conforter ces acquis et mesurer l’impact des recommandations. En filigrane, une conviction s’affirme: la créativité féminine, lorsqu’elle dispose d’un écosystème favorable, devient l’un des moteurs les plus fiables de la transition durable recherchée par l’Afrique contemporaine.